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L’Affaire Vasco

« Cette prochaine pièce » était déjà en chantier et Schehadé hésitait entre deux titres : Lieutenant Septembre ou Histoire de Vasco. Le second fut définitivement choisi. Alors que la pièce était au trois quart terminée, Schehadé en averti Jean-Louis Barrault : « La pièce s’annonce d’un bout à l’autre comique avec, bien entendu, ça et là, de grandes brûlures. Je crois que vous aimerez bien Histoire de Vasco ( qui comme son nom l’indique comporte une histoire ). L’écriture est aussi plus directe… ». 1

Lettre expliquant Histoire de Vasco
Texte de G. Schehadé expliquant Vasco
Mai 1957
Archives Georges Schehadé / IMEC

Après avoir pris connaissance du manuscrit, Barrault fit part de son enthousiasme à Schehadé : « Votre pièce me ravit et m’enthousiasme en tous points ! Je ne sais si les gens la consacreront comme un chef d’œuvre ; pour moi ce doit en être un (…) Je pleurerais des larmes de sang si vous ne vouliez pas que je monte la pièce ». 2

En 1956 le contrat de Jean-Louis Barraud au Théâtre Marigny prenant fin, il s’en suivit une tournée mondiale de la Cie Renaud-Barrault au cours de laquelle fut affichée Histoire de Vasco. 3 Après Zurich, ce fut Lyon, puis Barcelone, Munich, Varsovie, Berlin, Stockholm… partout ce fut un immense succès, clôturé par le triomphal festival de Balbeck à l’issue duquel le président de la république libanaise éleva Georges Schehadé au rang de commandeur du Cèdre.

Festival de Baalbeck 1957
Programme de la Cie Renaud-Barrault
Festival de Baalbeck 1957
Illustratré d'un dessin de Raoul Dufy

Archives Georges Schehadé / IMEC

Ce fut le Ier octobre 1957 que Histoire de Vasco fut présentée à Paris, lors d’une Première de gala, au Théâtre Sarah Bernhardt, dont Jean-Louis Barrault venait de prendre la direction. « Soirée brillante, une forte majorité de smokings et de robes du soir… » 4 Le Tout-Paris était là. M. Achard, J. Cocteau, J. Prévert, R. Queneau, A. Salacrou, Marie Bell, Renée Saint-Cyr, Alice Cocéa, Christian Dior, Serge Lifar, Jacques Chaban-Delmas, René Coty… etc ... Avant la représentation on avait distribué le programme dans lequel Schehadé avait écrit : « Histoire de Vasco est un livre d’images(…) Chaque fois avant d’écrire je sortais de leur boîte les soldats de plomb de mon fils et je les regardais pour m’inspirer de leurs couleurs vives et de leur innocence. Dans mon esprit, comme vous le voyez, cette Histoire de Vasco devait finir bien. Rien à faire, les petits soldats de mon fils tuèrent Vasco ».

Jean-Louis Barrault dans L' Histoire de Vasco
Jean-Louis Barrault dans Histoire de Vasco
(photo DR)
Collection A.R.T.

En dépit de ce texte qui se voulait plaisant, le spectacle fut assez mal reçu. L’histoire de ce petit coiffeur dont l'héroïsme fut fatal, révolta l’assistance et le Maréchal Juin, ostensiblement, se retint d’applaudir. Alors que nos soldats français se battaient courageusement en Algérie pouvait-on mettre en scène l’ouvrage d’un auteur libanais, chantre du pacifisme ? Ainsi pensaient de mauvais esprit. Les critiques du lendemain se montrèrent sévères, l’un d’eux, Léon Treich, alla jusqu’à demander l’interdiction du spectacle … Soutenu par le poète René Char, Robert Kemp dans Le Monde évoqua L’affaire Vasco. À l’encontre de tous ces contestataires, l’hebdomadaire Arts proposa la Une de son journal à Jean-Louis Barrault. L’article eut pour titre « On m’assassine ». Montèrent à sa rescousse les écrivains Jean Dutourd et Jean Schlumberger ainsi que les critiques dramatiques Jacques Lemarchand et Guy Dumur.

La carrière de la pièce ne dura que jusqu’en décembre. Pourtant les représentations furent toutes couronnées de succès. Les salles étaient pleines à craquer de clients qui avaient payé leurs places et le public debout après chaque séance, applaudissait à tout rompre.

Début janvier 1958, le spectacle reprit le cours de sa trajectoire sur des scènes étrangères. Traduit, mis en scène et joué par les artistes locaux , d'Hambourg, de Bâle, de Bochum, Le Caire, etc… il était toujours admirablement accueilli.

G. Schehadé s’était remis à l’écriture. Il commença une nouvelle pièce dont il voulait encore cacher le sujet à ses amis. Il fut interrompu dans son travail par le lancement du film, en langue française, Goha 5, dont il avait écrit, sur la demande du réalisateur J. Baratier, le scénario et les dialogues. Le film sera projeté à Cannes lors du Festival. Couronné par le jury, présidé par Marcel Achard, il obtint le Prix International de la Critique « pour son originalité poétique et la qualité exceptionnelle du commentaire et du dialogue de Georges Schehadé. »

Décidément G. Schehadé devait, cette année-là, être de tous les palmarès. Le 19 juin, lors de la soirée des Molières, Histoire de Vasco était en concurrence avec Paolo-Paoli d’Arthur Adamov et Le Cercle de Craie Caucasien de Bertold Brecht. Ce fut cette dernière pièce qui emporta la statuette de Molière, mais, durant toutes les discussions, les partisans de G. Schehadé ne baissèrent pas les bras.

Le printemps 1958, fut au Liban le printemps de tous les dangers.

Après que Nasser ait décrété la nationalisation du canal de Suez en 1956, l’Égypte et la Syrie décidaient de fusionner pour former le Royaume Arabe Uni. À Beyrouth, le président Camille Chamoun, ami de la France et du Royaume Uni, refusa de s’associer à ses voisins. Les Musulmans libanais se révoltèrent contre leur gouvernement alors que les chrétiens le soutenaient dans son désir d’indépendance. La guerre civile n’était pas loin. Et bientôt, les manifestions armées, les bombes, les assassinats firent de Beyrouth une ville assiégée. Les forces américaines débarquèrent en orient. Ils sauvegardèrent l’indépendance du pays, mais une guérilla sournoise n’était pas prête à lâcher prise. Dans ces conditions de vie, il était impossible à G. Schehadé de travailler.

1 Lettre de Jean-Louis Barrault du 24 février 1955 ( fonds Georges Schehadé - IMEC )
2 Lettre de Jean-Louis Barrault du 18 décembre 1955 ( fonds Georges Schehadé - IMEC )
3 cf. Quelques pièces
4 Le Figaro , 2 octobre 1957
5 Film tiré du roman Livre de Goha le simple signé de deux écrivains de langue française, Albert Ades, né au Caire en 1898 et Albert Josipovici, né à Constantinople en 1892. L’ouvrage fut édité en 1919 par les éditions Calmann-Lévy

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