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Les débuts d’un auteur dramatique

Interpréter un rôle dans les comédies des autres, comme dans Fleur de Cactus de Barillet et Grédy, c’était certes très jouissif mais pourquoi ne pas jouer dans ses propres œuvres ? Depuis quelque temps, Jean sentait monter en lui un besoin intensif de devenir un auteur dramatique. Il attendit une occasion pour se mettre à l’ouvrage, tout en continuant de signer de nouveaux contrats au cinéma et à la radio. Il ne fut pas déçu : le spectacle du théâtre de la Michodière : Gog et Magog, adapté de l’anglais par Gabriel Arout était un triomphe. Pour fêter la 500ème représentation, le metteur en scène, François Périer, décida d’organiser une fête et proposa à Jean Poiret et Michel Serrault de se produire dans un numéro de leur façon. Les invités furent morts de rire et l’un d’eux, André Puglia, directeur du théâtre Fontaine demanda aux deux compères de lui concocter un spectacle. La proposition tombait à pic et c’est ainsi que Jean Poiret, en collaboration avec son alter ego, écrivit sa première pièce Sacré Léonard. Lors d’un interview, Jean Poiret déclara : « C’est l’histoire d’une troupe de comédiens engagée dans un spectacle qui ne marche pas. Congédiés par leur directeur, ils décident de continuer à assurer les représentations gratuitement et à leurs frais... ». 1.

Sacré Léonard
Sacré Léonard
Jacqueline Maillan et Roger Carel

(photo Lipnitski)
Collections A.R.T.

En scène, Jean, irrésistible, faisait l’effet d’une bombe mais dans l’intimité, il était mort de trac. C’était un angoissé. Si le spectacle devait être un échec ?.. Il eut bien tort, la pièce affichée le 12 janvier 1962 fut, plus de quatre cent fois, représentée à guichet fermé.

Tandis que Jean commençait une carrière d’auteur reconnu et apprécié, son épouse Françoise se préparait, elle aussi, à devenir un auteur dramatique célèbre. 2

Bien qu’amoureux du théâtre, mais sans proposition d’aucun directeur, Jean Poiret se laissa distribuer dans une dizaine de films dont  : Les Vierges, Un drôle de paroissien et La Grande frousse, réalisés par J.- P. Mocky qui deviendra un ami.

Un drôme de paroissien
Un drôle de paroissien de Jean-Pierre Mocky
Bourvil et Jean Poiret

(photo DR)

Bientôt, Jean Poiret, accompagné de Michel Serrault, eut le plaisir de signer un nouveau contrat, au théâtre Fontaine, pour leur deuxième pièce  : L’Opération Lagrelèche qui débuta le 17 décembre 1966. Il s’agissait de l’histoire d’une vedette de cinéma, Gordon Spears - rôle tenu par M. Serrault - qui mourra, subitement, après avoir trop bu. Alors, le réalisateur du film rechercha, dans la famille du défunt, quelqu’un qui puisse le remplacer. L’affaire n’était pas simple. Jean fourmillait d’idées et le spectacle, dans son intégralité, devait durer quatre heures. Il fallait donc en couper une partie, ce fut fait avec hésitation et difficulté. Mais cela en valut la peine. Les critiques furent enthousiastes : « Je vois bien que je n‘ai plus d’esprit critique devant Poiret et Serrault.  Il suffit qu’ils apparaissent pour que je m’amuse. Ici, j’ai eu trois fous rires. J’entends de ces fous rires qu’on a à 14 ans et qu’on ne peut arrêter » écrivit Jean Dutourd dans Le Figaro. Une fois encore le public se précipita au Théâtre Fontaine. Jean et Michel devenaient un peu plus chaque jour : Les Rois de Paris.

Opération Lagrelèche
Opération Lagrelèche
Jean Poiret, Sophie Agacinski et Michel Serrault

(photo Lipnitski)
Collections A.R.T.

Dans le même temps, une pièce intitulée : Comme au théâtre fut fort applaudie. Elle était signée d’un auteur inconnu Frédéric Renaud. En fait il s’agissait de Françoise Dorin qui avait choisi ce pseudonyme pour entamer sa brillante carrière.

Alors que les deux époux triomphaient chacun de son côté, ils s’étaient quittés depuis plusieurs mois. Toutefois, ils restèrent de parfaits amis et ne divorcèrent qu’en décembre 1977. Un nouvel amour les consola bientôt tous les deux, lui avec Caroline Cellier, elle avec Jean Piat.

Pendant l’été 1969, Jean et Michel ne se quittèrent pas. Ils avaient décidé d’écrire un spectacle caricatural, qui tiendrait à la fois du cabaret et de la pièce de théâtre. Ce furent : Les Placards qui s’intituleront finalement : Les Grosses têtes. Il s’agissait, pour les auteurs, de ridiculiser le théâtre brechtien, la politique, les événement de juin 1968, etc.. Comme le déclara Jean Poiret : « Tous les problèmes actuels seront mis en question dans notre pièce... ».

Jean et Michel auraient aimé défendre leur œuvre en faisant partie de sa distribution. Malheureusement, Marie Bell, directrice du Théâtre du Gymnase, qui les avaient engagés tous deux dans un spectacle triomphal : Le Vison Voyageur de l’anglais Ray Cooney adapté par Jean-Loup Dabadie, refusa de leur rendre leur liberté .

Le Vison voyageur
Le Vison voyageur
Jean Poiret et Michel Serrault
in programme original de Joyeuses Pâques

(photo DR)
Collections A.R.T.

Contrairement à l’espoir des auteurs, Les Grosses Têtes, affichées au Théâtre de l’Athénée, ne furent pas un succès. On reprochait au spectacle de n’être qu’une soirée de cabaret. Si Jean Poiret voulait se manifester comme un véritable dramaturge, il lui fallait changer de style.

La leçon porta ses fruits. Une courte liaison avec la comédienne Nicole Courcel inspira à Jean l’écriture de sa nouvelle pièce : Douce Amère, dans laquelle il offrit le rôle principal à la jeune femme. Un dernier cadeau !!!

Douce Amère
Douce Amère
Nicole Courcel
in programme original

(photo M. Bouder)
Collections A.R.T.

Michel Serrault, cette fois-ci, ne faisait pas partie du projet

Douce Amère est ma première pièce structurée, qui n’est pas un spectacle comme ceux que nous avons eu l’habitude d’écrire avec Michel Serrault, jusqu’à présent. Il y a un stade de son existence où l’on a envie d’écrire des choses moins burlesques. On a envie d’approfondir un petit peu parce que l’on prend de l’âge » 3 dixit son auteur. La pièce n’obtint pas le succès attendu. Le spectateur n’y trouvait pas son compte. Pour lui, le théâtre de Jean Poiret se devait d’être original, drôle, festif, plus prêt d’un vaudeville que d’une comédie tendre et mélancolique comme Douce Amère. De leur côté, les critiques se montrèrent peu enthousiastes. Pour Bertrand Poirot-Delpech, dans Le Monde : « Le dialogue est incroyablement verbeux, empesé, ampoulé... », Jean-Jacques Gautier, dans Le Figaro, donnait le conseil à l’auteur de laisser tomber « ces trop jolies choses qui ne sont que fades ». Quant à Georges Lerminier, dans Le Parisien, il fut encore plus sévère, pour lui, la pièce n’était qu’une « longue séance de dressage où l’auteur se regarde avec complaisance ».

Grâce à l’exceptionnelle réputation de Jean Poiret, Douce Amère poursuivit sa carrière pendant presque six mois, devant, hélas, des salles à moitié pleines...

Un malheur n’arrivant jamais seul, une malencontreuse chute, immobilisa Jean. Le pied plâtré, il eut alors tout son temps pour réfléchir au sens qu’il devrait donner à ses prochaines œuvres. Les spectateurs attendaient de lui des pièces distrayantes... eh bien il allait leur en donner !

Ce fut ainsi que le 10 juin 1962, fut créé, au théâtre du Palais Royal, Il était une fois l’opérette. Depuis son adolescence, Jean Poiret était passionné de musique légère et il prit donc un grand plaisir à composer un spectacle au cours duquel étaient interprétés les airs les plus célèbres de : Véronique de Messager, Ciboulette de Raynaldo Hahn, La Mascotte d‘Edmond Audran, La Fille de Madame Angot de Charles Lecoq, La Belle Hélène d’Offenbach, etc... De courts dialogues, signés Jean Poiret, réunissaient les mélodies les unes aux autres.

Il était une fois l'Opérette
Programme original
Collections A.R.T.

Pour donner plus d’éclat aux représentations, Jean-Michel Rouzière, directeur du théâtre, n’hésita pas à engager les célèbres cantatrices Mady Mesplé et Jane Rhodes.

Cette fois, le succès fut total et le spectacle fut affiché pendant cent quatre vingt représentations. Elles ne furent interrompues que par un contrat signé, antérieurement, entre le théâtre du Palais-Royal et Louis de Funès.

Il était une fois l’opérette partit alors, pour une longue tournée en France et au Canada confirmant ainsi son exceptionnelle réussite. De retour à Paris, le spectacle fut repris à Bobino, music-hall de la rue de la Gaîté.

Jean était très heureux. Certes, il avait retrouvé l’admiration de son public, mais ce n’était pas la seule raison de son bonheur. En 1965, lors du tournage de La Tête du Client, il avait fait la connaissance d’une starlette, de dix-neuf ans sa cadette, Caroline Cellier, née en 1945. Il ne l’avait pas oubliée et ils ne s’étaient jamais perdus de vue. Tandis qu’elle débutait dans la carrière de comédienne et obtenait les prix Gérard Philipe et Suzanne-Bianchetti, 4 Jean lui faisait la cour, une cour discrète, romantique. Elle paraissait heureuse, elle aussi, et puis... et puis... et puis... arriva le jour où l’amour fut le plus fort et, en dépit de la différence d’âge, les amoureux devinrent des amants qui régularisèrent leur union quelques années plus tard.

1 Jean Durant Jean Poiret éditions First Document 2015
2 Premières pièces de Françoise Dorin : 1957 : La Facture, 1958 : Un sale égoïste, 1969 : Les Bonhommes... etc...
3 Philippe Durant Jean Poiret éditions First Document 2015
4 Prix Gérard Philipe ou de la Ville de Paris attribué au meilleur comédien de l’année. Prix Suzanne Bianchetti, prix accordé à la jeune actrice la plus prometteuse.

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