Quoique fort bouleversé par ce nouvel échec sentimental, Sacha se sentait, préoccupé par la situation de la France depuis les évènements de Munich. Il avait toujours refusé que ses pièces fussent jouées en Allemagne, quelles que puissent être les sommes fabuleuses que lui offraient les impresarios d’outre Rhin. Il s’était donné pour règle de ne jamais parler de politique en public, personne donc ne pouvait se douter de ses véritables sentiments.
Au bout de quelques semaines de célibat, Sacha reconnut que vivre sans une compagne était intolérable : « Enfin me voilà seul, écrivait-il , Je le souhaitais depuis longtemps. Je vais pouvoir donc enfin vivre seul. Et, déjà je me demande avec qui. ».
Après une courte liaison avec Simone Maderon à laquelle Sacha donna le nom de scène de Simone Paris et lui offrit ses premiers rôles, il s’éprit sérieusement de la jeune comédienne Geneviève de Séréville, âgée de vingt cinq ans. Il la côtoyait depuis quelque temps, avant même son divorce. Il demanda à la jeune fille de devenir son épouse et le 4 juillet 1939. Geneviève dont le père, un baron très catholique, obligea son illustre fiancé à se marier, pour la première fois, à l’église.

Mariage de Sacha Guitry et Geneviève de Séréville à Fontenay-le-Fleury
(photo DR)
Le Tout Paris se gaussa quelque peu de cette quatrième union officielle. Néanmoins, ce fut dans la loge du Président de la République que le couple Guitry assista au défilé du 14 juillet avant de partir faire la tournée des casinos. Affichés dans plusieurs pièces à succès dont : Faisons un rêve, Les Deux Couverts et Les Femmes et l’Amour, ils déclenchèrent l’enthousiasme chaque soir.
Rentrés à Paris pour assister, le 30 août, à la première projection de Ils étaient neuf célibataires, ils durent déchanter, le film ne reçut pas l’accueil attendu. C’est que le climat général de l‘époque n’était pas favorable : le lendemain, la France et l’Angleterre déclaraient la guerre à l’Allemagne et l’ordre de mobilisation était affiché aux portes de toutes les mairies.

Ils étaient neuf célibataires
Elvire Popesco et Sacha Guitry
(photo DR)
Aux premiers mois du conflit, il ne se passa pratiquement rien entre les belligérants. Ce fut ce que l’on appelait « la drôle de guerre ». Trop âgé pour être mobilisé, Sacha Guitry tenta de poursuivre sa tâche d’auteur-acteur. Le 17 novembre, il présenta, au Théâtre de la Madeleine, sa dernière création : Florence, qui, retravaillée, deviendra plus tard Toa. Sacha interprétait son rôle d’auteur-acteur, en proie à une vieille maîtresse qui le menaçait de mort. Une trouvaille de mise en scène ajouta à l’intérêt de la pièce. En effet, l’actrice principale ( Elvire Popesco), assise au milieu du public, s’adressait de la salle à son ancien amant sur scène. Certains spectateurs la prirent pour une folle réellement dangereuse. À la suite de la représentation, Guitry tint à projeter son film Ceux de chez nous sorte de provocation face aux troupes allemandes.

Florence
Sacha Guitry et Elvire Popesco
in Programme original
Collections A.R.T.
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Les galas de bienfaisance ne se comptaient plus et Sacha s’y impliquait autant qu’il le pouvait. Après le Gala pour la Croix Rouge, ce furent le gala au profit des victimes finlandaises, puis une soirée donnée au bénéfice des 13ème, 31ème et 211ème régiments d’infanterie, une soirée théâtrale au profit de la Caisse de secours de la Base aérienne de St-Cyr, un gala au théâtre royal du parc de Bruxelles, en faveur d’un groupement automobile de l’armée, en présence du roi Léopold, une soirée au bénéfice des anciens combattants du spectacle etc...etc...
À Madrid, le 16 mars suivant, au cours d’une présentation de Les Perles de la couronne Sacha Guitry fit la connaissance du Maréchal Pétain, ambassadeur de France et du corps diplomatique.
Après l’invasion des troupes allemandes le 10 mai 1940, le théâtre de la Madeleine, comme tous les théâtres parisiens, fut fermé. Sacha et Geneviève se réfugièrent à Dax. La Kommandantur s’était installée dans le plus bel hôtel de la ville, « Le Splendid », où résidaient Sacha et son épouse. Un matin, un officier et deux soldats vinrent les inviter à prendre le café avec le général occupant la région. Comment refuser ?
Après que l’armistice fût signé le 23 mai, les Guitry rentrèrent à Paris. La vie leur parut avoir repris son cours et le Théâtre de la Madeleine réafficha Pasteur. Parmi les spectateurs se comptaient des officiers allemands en uniformes qui s’amusaient beaucoup. C’était pour eux une façon très agréable de parfaire leur français.
Le 19 Décembre eut lieu la première lecture de : Mon auguste grand père, pièce tournant en dérision les lois contre les Juifs. Le spectacle fut interdit par la censure allemande. Le titre de la pièce suivante : Le Soir d’Austerlitz fut également proscrit et dut s’intituler Vive l’empereur pour être créée le 6 mai 1941.

Vive l'Empereur
Sacha Guitry par Jan Mara
Vint alors la série des honneurs célébrant l’illustre personnalité de Sacha Guitry : Louis de Monaco le nomma au grade de commandeur dans l’ordre de Saint-Charles, Jean-Louis Vaudoyer, président du Comité d’organisation des spectacle, l’appela auprès de lui comme conseiller, M. Hautecoeur, directeur des Beaux-Arts, lui offrit la présidence du Groupe des théâtres. Au décès de Victor Boucher, ce fut Sacha Guitry qui le remplaça au poste de Président de l’association des artistes dramatiques. Renouvelant l’invitation de l’officier de la Kommandatur de Dax, le général Goering désirant faire la connaissance d’une telle célébrité française, lui envoya deux militaires le chercher pour l’amener auprès de lui.
Certes, toutes ces marques de faveur ne manquèrent pas de faire des envieux.
Néanmoins, Sacha Guitry n‘avait cure d‘oublier le Théâtre, son Théâtre ! Le 27 mai 1943, eut lieu la répétition générale de N’écoutez pas Mesdames !, au théâtre de la Madeleine, que Sacha avait en quelque sorte investi. Geneviève Guitry, un peu vexée et regrettant que son époux ne lui trouve pas un grand talent de comédienne, refusa de jouer dans la pièce. Une fois encore le spectacle remporta un véritable triomphe. Parmi le public se comptait, chaque soir, plusieurs officiers allemands en uniformes, qui applaudissaient à tout rompre.

N'écoutez pas Mesdames
in Programme original
Collections A.R.T.
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Le 3 Septembre fut présenté le film : Le Destin fabuleux de Désirée Clary, au cinéma Le Marivaux et le 5 octobre, Sacha se rendit à Vichy présenter au Chef de l’État son ouvrage, édité au bénéfice du Secours National : De Jeanne d’Arc à Philippe Pétain.

Le Destin fabuleux de Désirée Clary
Jean-Louis Barrault et Sacha Guitry pendant les répétitions
(photo DR)
La direction de la Radio Nationale n’oubliait pas le célèbre auteur et deux émissions lui furent consacrées, le 9 janvier 1943, retransmission de la pièce Deburau et le 24 janvier, celle de Françoise et de Chagrin d’amour.
En juillet 1943, débuta le tournage de La Malibran. Incommodé par la chaleur, Sacha fut victime d’un malaise et l’on dut interrompre les prises de vue jusqu’au 2 août. Alors qu’il jouait, Daniel, le rôle principal dans N’écoutez pas Mesdames, le 13 octobre, Sacha tomba en syncope sur la scène, il fallut abaisser le rideau. Sacha devait vraiment se ménager. Mais comment faire ? De plus son couple avec Geneviève commençait, lui aussi, à battre de l’aile. La jeune femme venait de perdre son père pour lequel elle avait une grande d’affection. Elle attendait que son mari, de trente ans son aîné, le remplace en quelque sorte et lui témoigne toute la tendresse dont elle avait besoin. Hélas comme pour ses précédentes épouses, Sacha, débordé par ses multiples occupations, ne trouvait guère le temps d’être présent auprès de sa jeune femme. Elle éprouva quelques consolations dans des aventures passagères, tandis que Sacha, déçu, cherchait à séduire la belle actrice Mona Goya, qui avait fait partie, l’année précédente de la distribution d’un nouveau film : Donne-moi tes yeux, dont le scénario, quelque peu mélancolique, se passait sous l’Occupation. Il était question de restrictions, de « Marché noir », de couvre feu, de censure, etc...

Donne-moi tes yeux
Ciné mondial décembre 1943
Entre Geneviève et Sacha, la situation se dégradait. Les scènes de ménage succédaient aux scènes de ménage. Sacha proposa à Geneviève de l’adopter, ainsi pourrait- elle garder le nom de Guitry et ne serait jamais dans le besoin. Geneviève, quelque peu vexée, refusa. En avril 1944, Sacha Guitry entamait son quatrième divorce. Il dut reconnaître qu’il était en partie coupable. Après avoir séduit les femmes par son charme, sa brillance, sa générosité, lorsqu’il les savait amoureuses de lui, il leur préférait son travail et sa gloire.
Suite au départ de Geneviève, Sacha accorda ses faveurs à différentes artistes, Mona Goya bien sûr, puis la cantatrice Géori Boué, Arletty, Michèle Alfa et surtout la jolie Yvette Lebon, à laquelle, pour un temps, il avait prêté une chambre dans son hôtel particulier de l’avenue Élisée-Reclus.
Depuis deux ans, les émissions de radios, consacrées aux oeuvres de Sacha Guitry ne se comptaient plus et les galas de bienfaisance se succédaient. Généreux, Sacha ne supportait pas le malheur des autres. Ainsi, lorsque son ami, l’écrivain, Tristan Bernard fut arrêté ainsi que son épouse, en tant que Juifs, Sacha n‘eut de cesse de les faire libérer, grâce à ses relation allemandes. Tous les occupants n’étaient pas des nazis , et certains comme le lieutenant Ernts Junger avaient fait de leur séjour à Paris, une sorte de partie de plaisir et recherchaient la présence de Guitry.
Sacha Guitry Elles et Toi éditions Raoul Solar 194
Ernst Junger : « Je me regardai dans la glace, en uniforme de lieutenant non sans ironie. Mais c’est sans doute en ce moment l’aventure de beaucoup d’autres hommes en Europe qui n’avaient jamais cru reprendre du service » édition de La Pléiade 2008