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La chute programmée
Lutte contre une vieillesse précoce

(photo DR)
Coll. part.
En 1963, commence pour Adamov un début de dégradation physique qui n’aura de cesse, jusqu’à la fin. C’est le début d’un calvaire avec, de temps en temps, quelques rémissions. En septembre 1963, au cours du Festival d’Edimbourg où il est invité en compagnie de Marguerite Duras, Adamov se ressent d’un premier malaise qui sera le
préambule à une longue souffrance. Ayant perdu toute notion de la réalité, ne sachant plus qui il est, où il habite, il doit être pris en charge par la délégation française. À son retour à Paris on découvre qu’il s’est cassé une côte. Où ? comment ? Il s’affole : « Mon angoisse devient telle qu’il m’est impossible non seulement de travailler mais même de faire le moindre geste, de déplier en vain le journal par exemple. Je reste des heures entières à fixer un point quelconque, sans pouvoir préciser quel point je fixe sans rien voir, la tête absolument vide ; Il faut que je boive au moins trois bouteilles de bière allemande ou un ou deux gins pour entrer dans la journée qui vient ».
Malheureux, fâché contre les autres et contre lui-même, se sentant coupable envers le Bison pour la vie difficile qu’il lui impose Adamov s’en prend à la terre entière. Seul toute la journée, il cherche sans succès un sujet de pièce. Il boit, se drogue et part à la chasse aux filles, tandis que le Bison travaille pour assurer leur subsistance.
Au cours d’un répit qu’il croit être une guérison il se remet à écrire: « Je viens de sortir d’une longue maladie, j’ai du temps à rattraper ».
Il commence un nouvel ouvrage, tiré d’un ouvrage du Dr. Minkowski : Les Boueurs qui deviendront La Politiques des Restes : en Afrique du Sud, un homme de race blanche, Johny Brown, souffre d’une obsession de la multiplicité des détritus, il craint de voir le monde submergé par les immondices et d’être obligé de s’en nourrir. Comme ce sont les Noirs qui en général sont chargés de manipulés ces ordures, il veut tuer son obsession en tuant un Noir. La pièce est créée à Londres puis reprise au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis dans une mise en scène de José Valverde.
Cette fois, la critique est relativement bonne. On trouve la farce simple, limpide et le journaliste de L’Aurore ose écrire: « Ne dramatisons pas. Tous les régimes, quels qu’ils soient, connaissent la Politiques des Restes ».
Comme il a fustige l’Amérique, Adamov souhaite s’en prendre à la France et à ses proches voisins. Il a trouvé pour titre : La Sainte Europe. « C’est un titre parodique. Il s’agit d’une Europe qui se voudrait sainte pour continuer ses entreprises de brigandage. Ces chrétiens qui partent aux croisades sont des chevaliers…d’industrie. Quand on lit le Brabant et le Benevent, il faut entendre le Benelux. L’empereur Karl ? Beaucoup y reconnaîtront le général que nous savons, mais aussi Guillaume II et Charles-Quint et Charlemagne… et le père Ubu ».
Retour au théâtre individuel et onirique
En décembre 1968, est affiché, au Théâtre des Mathurins M. le Modéré. Un dîner de têtes chez de petits bourgeois, dont le chef de famille devient, avec l’appui des Américains, chef de l’Etat du Jura. Chassé par un putsch, souffrant d’hémiplégie, il doit s’exiler à Londres. Dans cette pièce, on retrouve l’inspiration des premières œuvres. Adamov abandonne le drame d’une collectivité pour renouer avec l’histoire farfelue d’un seul individu : « J’ai changé d’opinion pour la troisième fois. Un certain onirisme m’apparaît nécessaire au Théâtre. Une place faite aux rêves de la nuit dans la vie éveillée. Maintenant je veux lier le cas clinique à la situation politique sans que ni l’un ni l’autre ne soient sacrifiées. Je passe de l’individualité à la multiplicité ».

Collections A.R.T.
Quelques jours avant sa mort, en dépit de sa douleur physique et morale, Avamov écrit la dernière réplique de son manuscrit Si l’Eté revenait. Les personnages vivent dans leur rêve. De La Parodie à Si l’Eté revenait, la boucle est bouclée.
Achèvement d’une longue agonie
Raconter les dix dernières années d’Arthur Adamov, c’est raconter une descente aux enfers programmée.La congestion pulmonaire, la pelade, l’enfermement, l’horrible cure de désintoxication, la rechute, les cauchemars qui se confondent avec la réalité, les douleurs intolérables, la paralysie qui s’annonce, la promiscuité des couloirs d’hôpitaux, le regard des autres à qui l’on fait peur et qui vous méprisent, quelle désolation !
Afin qu’Arthur retrouve un peu de calme, le Bison décide de quitter l’hôtel de Seine. Elle loue un appartement rue Champollion. Chaque matin, avant de partir aux éditions de l’Arche, elle vérifie que les tubes des pilules qu’Arthur doit avaler dans la journée. sont bien en place, sur la table de chevet. Au soir du 15 mars 1970, elle retrouve Arthur mort dans son lit, les médicaments épars dans la chambre. S’est-il seulement trompé de dose ? A-t-il mit volontairement fin à sa vie ? Personne ne répondra jamais à cette question.
L’Humanité A.Adamov 15 Juillet 1966
Les Lettres Françaises A.Adamov 25 octobre 1967
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