Association de lalogoRégie Théâtrale  

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Le scandale

C'est en feuilletant l’avant-scène - c’est ma façon d’aller au théâtre, je l’ai dit et je me joue les pièces très bien - le numéro consacré récemment au spectacle Danton et Robespierre 1 que cette idée m’est venue ». 2

Mettre en parallèle la période de la Révolution française et de la Terreur et celle de L’Occupation et de la Libération, voici une idée qui enchanta Jean Anouilh. Et plein de son sujet, il se mit au travail avec ardeur.

Maxime, petit hobereau de province, vient d’hériter un local historique, un ancien prieuré des Carmes où le Tribunal Révolutionnaire tenait ses assises en 1793 et où ses ancêtres ont été condamnés à mort. Y pendre la crémaillère sera le prétexte de la soirée - piège où il invite Bitos dans le but de le ridiculiser. Bitos, qui était son condisciple chez les Pères, jeune boursier, fils de la blanchisseuse du collège, est revenu dans le pays après la Libération en qualité de substitut ayant fait tombé des têtes lors de l’Épuration. La crémaillère sera l’occasion d’un dîner de têtes révolutionnaires et Maxime propose à Bitos de se faire la tête de Robespierre. Arrive à la soirée Bitos, déguisé de pied en cap face à son hôte et ses invités, en simple smoking. On essaiera de le faire boire, de le flatter, de le séduire, de le corrompre afin qu’il ne porte pas plainte contre le petit jeune homme qui joue le rôle de Merda. Bitos risque alors de tomber dans le piège, quand une jeune fille lucide et prise de pitié, cherche à le sauvera in extremis, mais comme Bitos a décidément l’âme basse, c’est elle qu’il détestera le plus.

Ce fut au jeune Michel Bouquet que fut confié le personnage de Bitos. Jean Anouilh lui avait recommandé : « Ne soyez pas trop humain dans le personnage de Robespierre. Je voudrais que vous preniez votre voix très haute, une voix irritante, que vous donniez à votre personnage une voix hors nature, mécanique d’automate. Ce personnage qui regarde tout le temps où il met sa main, obsédé par la propreté au point de s’épousseter tout le temps. À force de contrôle le personnage devient la marionnette de lui-même ». 3

Pauvre Bitos, Michel bouquet
Pauvre Bitos
Michel Bouquet et Gabriel Gobin

(photo Lipnitski)
Collections A.R.T.

Le soir de la répétition générale, ce fut un hallali comme jamais il ne s’en était produit au théâtre. La Bataille d’Hernani n’était en comparaison qu’une aimable plaisanterie. Aux sifflets s’ajoutaient des imprécations : « Taisez-vous Bouquet … C’est une insulte à la Résistance… », criait-on dans la salle. En coulisse Jean Anouilh n’entendait qu’une partie des insultes du public, mais au baiser du rideau, il se rendit compte de l’ampleur du scandale : « À la sortie tout tourna à la fureur. Je sortis du théâtre dans la voiture de Jamois 4 , avec des jeunes gens qui donnaient des coups de poing et des coups de pied dans la carrosserie. Il paraît que les critiques se réunirent sur la place devant le théâtre pour un colloque semblable à celui des sorcières de Macbeth et jugèrent sévèrement cette horrible soirée ». 5 En effet, dès le lendemain, les critiques des journaux s’en donnèrent à cœur joie. : « Une provocation, une insulte au gouvernement, aux partis, à la République, au peuple, au patronat, à la Résistance, à la Justice, mais surtout à la France » s’indignait Marcelle Capron, dans Combat, « La pire déception que nous puissions redouter de l’écrivain qui portait nos plus belles espérances » regrettait Robert Kemp dans Le Monde et Jacques Lemarchand pour sa part déplorait, dans Combat « cette œuvre sordide et sans portée, haine pure, rage démente, lassitude, ennui monotonie et rabâchage ».

Pauvre Bitos de Jean Anouilh
Pauvre Bitos
décor de Jean-Denis Malclès
maquette reconstituée, personnages peints par J.-D. Malclès
Collections A.R.T.

Mais le bon sens populaire a toujours raison : « Trop c’est trop ! ». L’exagération des critiques eut pour effet d’attirer le public. Tout Paris voulait voir la pièce… Le Théâtre Montparnasse ne désemplît pas pendant des mois et les billets s’arrachaient au Marché Noir.

Jean Anouilh et Pauvre Bitos
Texte de Jean Anouilh sur Pauvre Bitos dans le programme original
Collections A.R.T.

voir l'intégralité du programme

Pauvre Bitos fut certainement la pièce la plus décriée mais la pièce la plus célèbre de Jean Anouilh.

1 cf La Mort de Danton de Buchner, traduction d'Arthur Adamov Festival d’Avignon 1948
2 Jean Anouilh Avant-scène Juillet 1980
3 Anca Visdei Jean Anouilh, une biographie page 234 Éditions de Fallois 2012
4 Marguerite Jamois, directrice du Théâtre Montparnasse
5 Jean Anouilh : La Vicomtesse d’Erispal n’a pas reçu son balai mécanique Éditions La Table ronde janvier 1997

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