SOMMAIRE

Le Théâtre La Bruyère à Paris propose « Visites à Mister Green ».
Une pièce drôle et émouvante superbement interprétée.


« Les vieux ne bougent plus, leurs gestes ont trop de rides, leur monde est trop petit. Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit », chantait Jacques Brel au sujet des personnes âgées. La vie de monsieur Green, l'un des héros de la pièce de Jeff Baron Visites à Mister Green, pourrait se résumer à cette chanson. A 86 ans, veuf, il erre de son lit au salon. Un salon à l'ancienne laissé à l'abandon, sur le sol duquel s'accumulent vieux journaux et boîtes de biscuits vides. L'antre est finalement à l'image de son propriétaire, en fin de vie. Tout pourrait rester en l'état quelques années encore, si Mister Green n'avait pas croisé sur son chemin, le jeune Ross Gardiner. Drôle de rencontre d'ailleurs puisque Ross le renverse au volant de sa voiture. Pour sa peine, un juge le condamne à rendre une visite hebdomadaire à sa victime. Sauf que Green n'a aucune envie de faire la causette à ce qu'il considère être un intrus.

Des liens très forts. Pourtant, au fil des semaines, ces deux hommes aux univers diamétralement opposés mais unis par une même solitude (Green est un vieux juif pratiquant qui s'est brouillé avec sa famille, alors que Ross a du mal à faire accepter son homosexualité aux siens) vont réussir à tisser des liens très fort d'amitié.

La rencontre entre deux êtres que tout sépare est un thème qui a déjà été traité des milliers de fois au théâtre, de manière plus ou moins réussie. Visites à Mister Green évite tous les clichés du genre. Il n'est pas, par exemple ici, question de sombrer dans la caricature du monde de chacun, Yiddish pour Green, homo pour Ross. Certes, la pièce est traversée, avec bonheur, par l'humour juif ashkénaze. Et Baron n'hésite pas à évoquer les pogroms russes du début du XXe siècle ou la vie misérable des immigrants juifs à leur arrivée à New York. Mais il le fait sans jamais s'appesantir sur le sujet. Tout comme l'homosexualité de Ross est évoquée avec pudeur et délicatesse. Les liens entre les deux hommes, et la leçon de tolérance qui en découle, se construisent sans mièvrerie aucune, notamment grâce à une écriture alerte et rythmée, dénuée de pathos, mise en valeur par la mise en scène enlevée de Jean-Luc Tardieu. La réussite de la pièce repose également en grande partie sur le jeu des comédiens. Beaucoup, dans le rôle de Green, se seraient vautrés dans le cabotinage à outrance. Philippe Clay tient son personnage de bout en bout. Le dos voûté, la main tremblante, il est tour à tour ronchon, colérique, désagréable, pitoyable et touchant. Thomas Joussier, dans le rôle de Ross, lui fait face pour un duel verbal haut en couleur, masquant son mal-être et sa solitude par un phrasé haletant et ininterrompu. Une pièce légère et profonde à la fois, drôle et émouvante, superbement interprétée.

Yasmine Youssi

Page précédente

 

Page suivante