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Philippe Clay : la révélation !

Chanteur, comédien, au fil des décennies Philippe Clay était devenu un vénérable chêne dont on faisait poliment le tour sans vraiment prêter attention à la hauteur de la cime de son talent. Il y a deux ans, son rôle dans "Tuvalu" de Veit Helmer aurait dû nous mettre la puce à l'oreille: Clay est un grand, digne des plus hautes futaies de notre paysage artistique. Sur la scène du théâtre La Bruyère, il (des)incarne un juif de 86 ans, un veuf inconsolable. Négligé, sous-alimenté, il se laisse "partir" pour rejoindre sa femme. S'effaçant du monde, il aurait fait partie de ces oubliés que les pompiers retrouvent momifiés dans le cuir de leur fauteuil mortuaire, si un chauffard qui avait failli le renverser n'avait été condamné à lui rendre une visite hebdomadaire six mois durant. Ces "visites à Mister Green" sont le prétexte à une rencontre émouvante entre cet octogénaire acariâtre, prisonnier de ses convictions religieuses, et le jeune automobiliste condamné aux travaux ménagers forcés. Ce dernier, juif aussi, dissimule, derrière la cravate de sa réussite sociale, la blessure d'un homme dont la différence n'est pas acceptée par ses proches. Une différence qui restera en travers de la gorge du vieil homme. « Au cas où vous ne sauriez pas, lui assène t’il, les garçons juifs ne sont pas des « faygele ». » (N.d.r.: homosexuels en yiddish).
Patient, dévoué, le faygele va se nourrir de ce grand arbre chenu, alternant l'engrais de sa générosité avec les coups de hache nécessaires à l'élagage des à priori réactionnaires de ce sacré fils d'Abraham, jusqu'à ce qu'il parvienne à le faire plier comme un roseau. Dans une mise en scène de Jean-Luc Tardieu, Thomas Joussier et Philippe Clay forment un duo éblouissant. Grand habitué des Molières, le théâtre La Bruyère a toutes les chances d'en obtenir au moins un de plus cette année. Philippe Clay est si crédible en vieillard voûté et tremblotant que le public attend de le voir saluer pour évaluer la part de comédie dans son comportement. Soyez rassurés, "Mister Green" est encore très vert...

Alain Spira

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