Association de lalogoRégie Théâtrale  
6

Un quinquagénaire toujours combatif

En 1957, il a quitté la rue Paul Féval et emménagé 26 rue Norvins, aujourd’hui Place Marcel Aymé. En 63, il fait sa rentrée aux Bouffes-Parisiens avec une adaptation du Placard de Kopit (qu’il désavouera au dernier moment, en faisant retirer son nom de l’affiche) et d’un acte original Le Minotaure, interprété par Jean Le Poulain, Anne Carrere et Madeleine Lambert. C’est une aimable bouffonnerie. Irène trouve dans son salon bourgeois du Boulevard Saint-Germain, une machine agricole. Elle pousse des hurlements. C’est son mari, qui adore la campagne, et qu’elle en prive, qui a fait venir ce tracteur, afin de pouvoir avoir la campagne chez lui. Quand un poète farfelu trouvera l’idée géniale, Irène reviendra sur ses préventions. C’est ensuite, trois ans plus tard La Convention Belzebir, dernière pièce de l’auteur présentée de son vivant, refusée par Jean-Louis Barrault et André Barsacq, et montée à l’Athénée par René Dupuy le 30 novembre 1966. Le succès fut loin d’être éclatant, malgré l’originalité du postulat : l’achat d’une licence permettant de tuer son prochain. Marcel Aymé a tiré la pièce de son roman : Les Tiroirs de l’inconnu. Durant ses dernières années, il écrit pour la scène Le Commissaire, Le Cortège, Le Mannequin, qui n’ont jamais été représentées, mais publiées dans les Cahiers Marcel Aymé.

La Convention Belzebir de Marcel Aymé
La Convention Belzebir
D décor de Jacques Noël

Maquette de la collection particulière de Jacques Noël

Ce pessimiste joyeux avait le culte de l’amitié et n’hésitait jamais à prendre, souvent avec beaucoup de risque, la défense de ceux qu’il jugeait injustement accusés de délit d’opinion. Son amitié avec Céline fut très tumultueuse. Céline, que la folie de persécution égarait totalement, le dépeint sans aménité dans Maudits soupirs pour une autre fois. Pourtant, Marcel Aymé restera l’un de ses amis les plus fidèles, en tentant de le réhabiliter aux yeux du monde littéraire et en cherchant également à rassembler des témoignages favorables à présenter lors du procès qui va s’ouvrir. Il écrit dans Le Libertaire: « Ses ennemis auront beau mettre en jeu toutes les ressources d’une haine ingénieuse, Céline n’en est pas moins le plus grand écrivain français actuel et peut être le plus grand lyrique que nous ayons jamais eu… La IVème République ne s’honore pas en tenant en exil un homme de cette envergure ».

Il écrit au Président du Tribunal une très longue lettre qui ne manque pas d’arguments en faveur de Céline. Il ira rendre visite au proscrit, le 11 mars 1951, à Klarskovgaard (Danemark). Céline, jugé par contumace, rentre du Danemark, car le Commissaire du Gouvernement vient de reconnaître que le dossier d’accusation est vide. Céline s’enferme alors dans une villa à Meudon où Marcel Aymé ira le voir presque tous les dimanches, quelquefois accompagné de Roger Nimier et d’Antoine Blondin.

Indépendant miséricordieux s’attaquant en franc-tireur aux puissances liguées de la coercition sociale. Certes, anti nazi, il demanda la grâce de Brasillach mais déclina l’invitation des amis du fusillé de prendre la parole à leur cercle. « J’aimerais mieux dîner en tête à tête avec mon percepteur » écrivit-il à leur Président. Partisan de l’Algérie algérienne, il tenta d’arracher au peloton d’exécution Bastien-Thiry, l’ultra de l’Algérie Française, commanditaire de l’attentat du Petit Clamart, contre le Général de Gaulle… Ennemi du terrorisme - celui de FLN comme les autres - il rendit visite dans sa prison au porteur de valise, le comédien Jacques Rispal. Antistalinien, il ramena dans les studios, scénariste d’un de ses films des années noires, le metteur en scène communiste, son camarade Louis Daquin, alors en quarantaine. 5 

En 1962, à la mort accidentelle de Roger Nimier, il est scandalisé par un article de Robert Kanters dans L’Express. Ce dernier écrivait : « Et il y a bien dans ce vieux pays un parti de jeunes gens qui se sentent étrangement attirés par la mort, le parti de Drieu La Rochelle, le seul finalement auquel Roger Nimier ait jamais appartenu, et on y meurt vraiment, avec la bénédiction édentée de vieillards bien portants comme M. Jacques Chardonne… C’était un lion aux ongles non point rongés, mais manucurés. Le masque de l’enfant terrible commençait à grimacer un peu sur le visage de l’homme de 36 ans ». Marcel Aymé répond, dans le bulletin de la N.R.F. : « Quelqu’un qui saisit, avec un jovial empressement l’occasion de cracher sa haine et son fiel dans une tombe encore ouverte… Roger Nimier était la vie même, la joie de vivre et même, pour les gens de son âge, la jeunesse. Ce qu’on sait beaucoup moins, c’est que ce garçon d’un grand cœur d’une inépuisable bonté, se dépensait inlassablement pour des amis, des inconnus avec toujours une exemplaire discrétion… D’un côté la générosité du cœur, de l’autre, l’envie encore inapaisée et la fureur nécrophage me permettent d’imaginer facilement quelle fut la joie de M. Kanters à la nouvelle de cette mort, la joie qui s’étale si crûment dans son misérable article. Le critique haïssait probablement l’écrivain d’être tout ce qu’il ne serait jamais, et d’abord un homme au plein sens du mot ». La brouille, on s’en doute, fut définitive.

5 cf : Bivouacs d’un hussard éditions de la Table Ronde

 

Haut de page

 

retour suite
Table des matières

la mémoire du théâtre