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Jean COQUELIN (1865-1944)

par Francine Delacroix

Francine Delacroix

( Diplomée de l’Institut national des techniques de la documentation ( Paris ), son parcours universitaire, tant à Nanterre qu' à la Sorbonne, la conduit tout naturellement à une licence d'histoire de l’art. Passionnée dès l'enfance par l'art en général et le théâtre en particulier, grande amoureuse de la capitale, Francine Delacroix découvre la Bibliothèque historique à l'occasion d'un exposé sur l'Opéra Garnier. Elle rêve aussitôt de travailler en ce magnifique Hôtel d'Angoulème Lamoignon. Le rêve devient réalité en 1972. Fervente de théâtre, elle s'intéresse aussitôt à l' Association de la Régie Théâtrale. L'occasion de rejoindre le département spectacle se présente ; elle devient, en 1988, l'adjointe de la conservatrice d'alors, Marie-Odile Gigou.
En retraite, elle a rejoint l'Association qui garde le souvenir de son époux, le réalisateur André Delacroix. Elle poursuit sa quête fertile de documentation et travaille actuellement sur la riche conrrespondance de Jean Mercure. )

Jean Coquelin
Jean Coquelin
Collections A.R.T.

Constant Coquelin a eu un excellent élève en la personne de son fils Jean né le 1er décembre 1865 de son mariage avec Marie-Madeleine Manry, une comédienne du Vaudeville. Constant veut avant tout que son fils soit bachelier. Sur les bancs du lycée Louis-le-Grand Jean aura pour voisin, Léon Daudet. 1

Comme son père, comme son oncle, il a la passion du théâtre. Constant est donc son meilleur juge: « S'il est bon, ça va, sinon, il fera autre chose ! ». Il se révèle bon comédien. Sa carrière va être alors intimement liée à celle de son père. Il prend des cours chez Sylvanie Arnoult-Plessy, Sociétaire de la Comédie Française à la retraite et ancienne élève de Samson. Il débute à Nancy en 1886 dans Grippe-Soleil du Mariage de Figaro de Beaumarchais. Sans même passer par le Conservatoire, il joue ensuite aux côtés de son père, des rôles dans tous les genres. Au terme de sa première année de théâtre, il a interprété quatre-vingt-quatre rôles parmi lesquels Louis XI dans Gringoire de Théodore de Banville, Fabrice dans L'Aventurière d' Émile Augier, ou don Salluste dans Ruy Blas de Victor Hugo...

Jean est assis devant son père Constant Coquelin
Tournée au Brésil : au centre assis Jean est assis devant son père Constant qui le tient par le cou
( Coll. J.-P. Coquelin )

II suit son père en tournée et lorsque ce dernier revient à la Comédie Française comme Pensionnaire, il y entre également comme Pensionnaire le 20 novembre 1890 pour débuter, exactement comme ce fut le cas pour son père, le 7 décembre 1860, dans le rôle de Gros-René dans Le Dépit amoureux. Il retrouve son oncle Ernest devenu entre temps Sociétaire. Les trois Coquelin interprètent ensemble Le Malade Imaginaire et Les Fourberies de Scapin. On peut lire sur l'affiche des Fourberies : Coquelin aîné ( Argante ), Coquelin cadet ( Géronte ), Coquelin Jean ( Scapin ). 1892, Jean vient de quitter le Français après dix-huit mois de présence. Il a préféré suivre son père qui vient de quitter définitivement la Comédie Française après le succès de La Mégère apprivoisée de William Shakespeare.

La fortune sourit aux audacieux. Constant entraîne Jean dans une longue et fructueuse tournée aux États-Unis pour y présenter ce qui constitue pour eux, le fond de leur répertoire: Thermidor de Victorien Sardou 2 et La Mégère apprivoisée. De retour en France, Jean est engagé, toujours avec son père, au Théâtre de la Renaissance, dirigé alors par Sarah Bernhardt. Il y joue deux petits rôles dans Patron Bénic de Gaston de Wailly et La Princesse lointaine d'Edmond Rostand. Plus tard, alors que son père interprète Sosie dans Amphitryon, il se voit confier le rôle de Mercure.

Père et fils ont des velléités de direction théâtrale. Sarah Bernhardt qui dirige le théâtre de la Renaissance les prend comme associés. De la Renaissance à l'Ambigu, en passant par la Porte Saint-Martin, le chemin est court. Quelques mètres séparent ces trois grands théâtres parisiens qui s'alignent en effet sur le même trottoir. Jean et Constant se préoccupent de leur direction, passant alors de l'un à l'autre en toute facilité. En 1896, ils co-dirigent avec Baduel la Porte Saint-Martin et se partageront des années plus tard L'Ambigu avec Paul Gavault.

Lors de la création de Cyrano, le 28 décembre 1897, Jean interprète le personnage de Ragueneau. Comme son père, il vit de cet immense succès pendant plus de neuf-cent-vingt-sept représentations à la Porte Saint-Martin et dans d'autres théâtres.

Jean Coquelin dans le rôle de Ragueneau de Cyrano
Jean Coquelin dans le rôle de Ragueneau de Cyrano
récitant la recette des tartelettes amandines

En 1897, Jean fonde avec Constant et son oncle Gustave qui les soutient financièrement, une association pour reprendre définitivement la Porte Saint-Martin, devenu depuis Cyrano, le plus prestigieux théâtre de boulevard de la capitale. Il joue dans Jean Bart de Edmond Haraucourt ( 1900 ), Quo Vadis d'après Sienckewicz ( 1900 ), Les Rouges et les Blancs de Georges Ohnet ( 1901 ), La Pompadour (1901), Nos deux consciences de Paul Anthelme ( 1902 ) ...

De 1902 à 1904, Jean part pour une longue tournée mondiale avant de prendre la direction du théâtre de la Gaîté qu'il abandonne en 1907 pour retrouver sa Porte Saint-Martin. Il joue Quasimodo dans Notre-Dame de Paris de Victor Hugo. Esmeralda est interprétée par Berthe Bovy, une jeune débutante qui deviendra bientôt célèbre. De 1907 à 1912, avec Henry Hertz, il part à la conquête des auteurs à succès. Il monte L'Affaire des Poisons de Victorien Sardou où son père interprète l'abbé Griffard.

L'Affaire des poisons à la Porte Saint-Martin
Collections A.R.T.

En 1910, il met toute son énergie dans la somptueuse création de Chantecler d'Edmond Rostand. Il y tient le rôle du chien Patou. Mais, c'est un échec public et critique. Le style de Lucien Guitry 3 ne peut remplacer celui de Constant, décédé un an plus tôt, et pour qui Edmond Rostand avait écrit le rôle du Coq dans cette pièce.

Jean Coquelin en Patou
Jean Coquelin en Patou
Collections A.R.T.

Malgré cela, Jean qui s'est engagé corps et âme dans le grand mouvement théâtral contemporain, né de l'expérience d'Antoine 4 et de son « théâtre libre », met la Porte Saint-Martin à la disposition de la comédie dramatique. Afin de s'assurer le public de boulevard, il crée, autour de Lucien Guitry, une troupe entièrement nouvelle. Il joue avec Jane Hading dans La Femme X d'Alfred Bisson, donne la réplique à Réjane 5 , Dumény et Sylvie dans L'Enfant de l'amour d'Henry Bataille, crée, toujours d'Henry Bataille, Les Flambeaux, s'assure le concours de Paul Bourget avec La Crise, reprend L'Abbé Constantin, Le Vieux marcheur de Lavedan, L'Infidèle et Amoureuse de Porto-Riche ou Le Ruisseau de Pierre Wolf...

La Femme X
Collections A.R.T.

Sa vie se partage entre la direction de la Porte Saint-Martin demeurée un des hauts lieux de la vie théâtrale parisienne et de longues tournées en Europe. La première guerre mondiale interrompt pendant un an la vie de la Porte Saint-Martin qui rouvre ses portes en février 1915. Mais avec des reprises de circonstance qui ne sont que des demi-succès. En novembre 1916, Jean Coquelin qui cherche à reclasser son théâtre, fait à nouveau appel à Henri Bataille et crée L'Amazone avec Réjane, Simone et Antoine dont ce sera la dernière apparition sur scène. À la fin de la guerre, c'est sur les planches de la Porte Saint-Martin et sur l'insistance de Jean Coquelin que Lucien Guitry renoue avec son fils Sacha qui vient de se marier avec la ravissante Yvonne Printemps. On retrouve alors « La Sainte-Trinité », comme les appelle le critique, dans Mon père avait raison et Béranger. Le public bon enfant accueille agréablement ces deux pièces écrites par Sacha Guitry. Mais ce succès ne dure pas. La guerre a coupé l'élan créateur de Jean Coquelin. Les grèves, les inquiétudes politiques et sociales du pays pèsent sur le théâtre. Le cinématographe gagne du terrain et les théâtres parisiens en souffrent. Toutes les tentatives de Jean pour retrouver le succès d'antan se soldent par des échecs, Il a alors recours à des reprises et remonte en 1920 ( l'année de la mort de Réjane ) Le Courrier de Lyon d’ Émile Moreau, Paul Siraudin et Alfred Delacour dont il a interprété le rôle de Choppard en 1899. Le succès est médiocre.

Jean Coquelin dans le rôle de Choppard, du Courrier de Lyon
Jean Coquelin dans le rôle de Choppard, du Courrier de Lyon
Collections A.R.T.

L'Ambigu, ce temple mythique du mélodrame qu'il dirige avec Paul Gavault depuis une dizaine d'années, ne marche guère mieux. Il est obligé d'en quitter la direction en 1922. La confiance semble l'avoir abandonné. En hommage à Edmond Rostand, il crée le 9 mars 1922 à la Porte Saint-Martin, sa pièce posthume, La Deuxième nuit de Dom Juan. Ce nouvel échec suivi de quelques autres l'oblige en 1924 à céder la direction du théâtre à Maurice Lehmannn.

II continue de jouer la comédie mais le virus de la direction le tenaille toujours. En 1928, il prend les Folies Dramatiques qu'il garde jusqu'en 1930, année où il s'associe à Henri Varna pour projeter au Théâtre Marigny, le film de Charlie Chaplin, Les Temps Modernes. Cette tentative se solde par un échec et marque définitivement la fin de la carrière de Jean Coquelin comme directeur de théâtre.

En 1932, Sacha Guitry qui dirige le Théâtre de la Madeleine, lui offre le rôle de l'évêque dans La Fin du monde, Il le rappelle en 1934 pour jouer aux côtés de Jacqueline Delubac dans Mon Père avait raison. De 1930 à 1938, il tourne pour les studios de l'UFA à Berlin ( Le Congrès s'amuse d' Eric Charell ( version française de Jean Boyer ) ( 1931 ) avec Lilian Harvey et Pierre Magnier ou La Chanson du Souvenir de Detlef Sierck ( version française de Serge de Poligny ) ( 1936 ) avec Colette Darfeuil et... Pierre Magnier ! ). En 1940, il joue au Théâtre des Arts-Hébertot dans La Dame aux camélias, aux côtés d'Edwige Feuillère et de Pierre Richard-Wilm.

La Dame aux camélias 1940
Collections A.R.T.

Il apparaît pour la dernière fois de 1941 à 1942, sur la scène du Théâtre de la Renaissance dans Rêve d'Amour de Liszt de René Fauchois, avant de se retirer définitivement à Pont-aux-Dames où il meurt, le 1er octobre 1944. Il repose aux côtés de son père.

Jean Coquelin
( photo Henri Manuel )
Collections A.R.T.

La vie de Jean Coquelin a été marquée par cette formidable passion de la direction théâtrale. Comme son père, il a vécu au contact des plus grands auteurs et acteurs de son temps. Avec lui, il a participé aux grandes heures du théâtre français, à la charnière des XIXe et XXe siècles. La popularité de Constant a contribué à lui forger une vie toute entière vouée à la scène et à lui permettre d'être l'un des grands animateurs de la vie théâtrale parisienne.

La ville de Rueil-Malmaison a eu l’honneur de le compter parmi ses habitants de 1912 à 1924. Son choix de s’installer dans cette ville a été guidé par son ami comédien Louis Déan qui y vivait déjà. Dans la propriété qu’il fit construire il souhaitait réunir tous les souvenirs de son père et se son oncle. L’idée d’un musée Coquelin à Rueil-Malmaison n’a malheureusement pas vu le jour.

1 Léon Daudet (1867-1942), journaliste et écrivain , fils d’Alphonse Daudet auteur entre autres des Lettres de mon moulin
2 Victorien Sardou (1831-1908) auteur de comédies et de pièces historiques comme Madame Sans-Gêne
3 Lucien Guitry (1860-1925) grand comédien, l’égal masculin de Sarah Bernhardt. Il a été directeur du Théâtre de la Renaissance
4 André Antoine (1858-1943), fondateur du Théâtre Libre pour faire découvrir au public parisien de jeunes auteurs et aussi des auteurs étrangers. Il est l’inventeur d’une nouvelle mise en scène
5 Réjane (1856-1920), une des comédiennes françaises les plus populaires au début du XXè siècle aux côtés de Sarah Bernhardt. Propriétaire d’un théâtre rue Blanche à Paris auquel elle donna son nom

Francine Delacroix
in Les Coquelin
Société historique de Rueil-Malmaison 1998
avec leur aimable autorisation

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