( Président d'honneur de l'Association de la Régie Théâtrale, ancien élève de Charles Dullin, Serge Bouillon a consacré sa vie entière au spectacle, tour à tour comédien, régisseur, directeur de scène, metteur en scène, puis administrateur ( directeur administratif et financier ). Du Théâtre Hébertot à celui du Vieux Colombier, des Mathurins à Bobino puis au TEP de Guy Rétoré, Serge Bouillon dirigea de 1980 à 1996 le Centre de formation Professionnelle des Techniciens du Spectacle qu'il avait installé à Bagnolet et dont il fit la référence européenne.
Il fut, de 1952 à 1970, le collaborateur direct de Jacques Hébertot, Il est aujourd’hui l’ayant droit de Jacques Hébertot, le gérant de la société de production théâtrale Fondation Hébertot, et l’un des principaux actionnaires de la Société Immobilière Batignolles-Monceau, propriétaire du Théâtre )
1 - 1830, le village des Batignolles
Le siècle avait 30 ans, la bataille d'Hernani faisait
rage au Théâtre Français, tandis qu'à deux pas,
du Palais Brongniard qui venait de fêter son quatrième
anniversaire, un vaudeville, dans le théâtre du même
nom, remportait un franc succès de rire ; il avait pour titre,
Hernani ou la contrainte par cor.
La rue de la Paix s'enorgueillissait d'être, depuis
un an, éclairée au gaz.
Notre-Dame confiait aux Lazaristes les reliques
de l'ancien curé de Clichy, Saint Vincent de Paul.
Au Palais Royal, le Duc d'Orléans dansait sur
un volcan.
Alger était prise le 9 Juillet.
Charles X publiait le 25 trois ordonnances portant :
- Dissolution de la Chambre,
- Modification du mode de scrutin,
- Suppression de la liberté de la Presse.
L'insurrection débutait le lendemain.
Elle était générale le 28, Charles
X abdiquait le 2 Août, Louis Philippe occupait le trône, le
9.
De l'autre côté du mur, au-delà des
boulevards extérieurs, ( aujourd'hui des Batignolles et de Courcelles
) entre le chemin de Villiers (notre rue de Courcelles ) et le Bas Montmartre,
les quartiers champêtres des Batignolles et de Monceau qui appartenaient
à l'agglomération de Clichy la Garenne, venaient d'obtenir,
par ordonnance royale du 10 Février, d'en être détachées
et de se constituer en commune sous le nom de Batignolles Monceau.
À une commune, ne fut-elle riche que de 3.300 âmes
pour 280 ha, il faut une Mairie, une Église et un Théâtre.
2 - La Spéculation immobilière 1830 - 1840
Cela n'offrait pas de réelles difficultés.
Ces deux territoires sur lesquels, en effet, les maisons avaient depuis
vingt ans commencé à pousser comme des champignons, comptaient
parmi ses habitants les plus entreprenants, quelques spéculateurs
immobiliers consumés par la fièvre de la construction.
Ils étaient de plus tout à fait conscients,
ces spéculateurs souvent entrepreneurs de surcroît, qu'autour
de la Mairie, de l'église et du théâtre, l'opportunité
leur serait d'autant plus offerte, de donner libre cours à leur
rage de construire.
Si bien que les gazettes des années 30 à
40 sont pleines des transformations des Batignolles Monceau. Pleines aussi
des déboires des bâtisseurs dont la vie entière ne
fut qu'une succession de saisies et de bonnes fortunes.
Nos rues célèbrent leur mémoire,
qu'ils se soient appelés Lécluse, Lacroix, Lemercier, Truffaut,
Capron ou Puteaux, lequel fit très fort puisque même le petit
village de l'Yonne où il vit le jour, devait donner son nom à
la rue de Chéroy.
L'Église, ce fut Sainte Marie des Batignolles. Une chapelle
avait été élevée en pleins champs deux ans
plus tôt, il suffit de l'agrandir.
La Mairie connut une installation provisoire au 54 de
ce qu'on appelait, la grand'rue des Batignolles.
Et, dans le même mouchoir de poche, un nommé
Besançon Souchet, construisit, Rue Lemercier, une salle polyvalente,
(dirait-on aujourd'hui), de deux cents places, transformable en théâtre
en moins de 30 minutes.
Or, ce Souchet, dont le répertoire des rues a oublié
le nom, ne manquait pas d'audace, car pour construire un Théâtre,
il en allait tout autrement que pour une quelconque Église ou une banale
Mairie.
3 - L'étrange aventure de Pierre Seveste
Il fallait un privilège royal, et malgré les
protestations des Batignollais, qui n'avaient pas attendu que soit achevé
l'an un des Batignolles Monceau pour pétitionner d'importance auprès
du Ministre de l'Intérieur, malgré leur protestations le
pouvoir refusait le privilège.
Soutenus par la Municipalité, Souchet et le locataire
de la salle, un certain Barthélémy qui y faisait représenter
vaudevilles et mélodrames, s'obstinaient.
Le Ministère aussi.
Si bien qu'en dépit de l'intermittence des représentations,
en dépit du fait qu'elles étaient données au bénéfice
des pauvres de la Commune, Souchet et Barthélémy se virent
condamnés, en Juillet 1833, à la fermeture définitive,
assortie d'une amende.
Obstiné, Souchet ne s'en tînt pas là.
Il loua sa salle à un certain Monet, qui dut rouvrir
très vite puisqu'en Janvier 34, moins de six mois plus tard, il
était à son tour condamné à la fermeture, et
avec Souchet, au paiement d'une substantielle amende.
L'attitude du Ministère, parait, en cette occurrence,
quelque peu drastique.
La vérité est que le pouvoir n'en
pouvait mais, accablé qu'il était des plaintes d'un chanteur
du Vaudeville, Pierre Seveste, titulaire, depuis Juin 1817, du privilège
exclusif d'exploitation de tous les théâtres de la banlieue
parisienne.
Pierre Seveste, était en effet le petit-fils d'un
des aides fossoyeurs qui, au cimetière de la Madeleine, en 1793
avaient procédé le 21 Janvier à l'inhumation
de Louis XVI, inhumation suivie en Octobre de celle de la Reine Marie Antoinette,
après qu'elle eut été menée à l'échafaud
dans une charrette que conduisait un comédien, le sieur Grammont,
lequel ne tardera pas à connaître la même fin.
Dès la première Restauration, soucieux d'édifier
à l'emplacement du cimetière de la Madeleine une chapelle
expiatoire, Louis XVIII prescrivit des recherches pour retrouver les dépouilles
de son frère et de sa belle - soeur.
Seuls, Pierre-Louis Olivier Desclozeaux qui avait acheté
les 850 m2 du cimetière et Pierre Seveste qui enfant avait été
témoin des inhumations, furent à même d'en indiquer
l'emplacement.
Ce service rendu à la monarchie valut à
Desclozeauxle cordon de St. Michel, à Seveste le privilège
qui lui permit de construire et d'exploiter toute une chaîne de théâtres
hors les murs.
4 - Un nouveau théâtre face au mur
Ces murs, en effet étaient des barrages douaniers
au-delà desquels la vie était champêtre et bien meilleur marché que dans les douze arrondissements de Paris.
Si bien que de Théâtre en Théâtre,
Seveste pouvait faire tourner le même mélodrame, qui ayant
fini intra muros sa carrière bourgeoise, entamait extra muros sa
carrière populaire.
Ne lui jetons tout de même pas trop la pierre.
Nombre de salles construites à son initiative font encore les beaux
soirs du public d'aujourd'hui, tandis que d'autres ont connu, avant de
disparaître, la fièvre cinématographique, quelquefois
même, l'outrage du super marché.
Donc, Pierre Seveste veillait au grain et ne supportait
pas qu'un Théâtre soit construit et exploité aux Batignolles
si ce n'est par ses soins.
C'est pourtant ce qu'avec Léon Droux, allait tenter
de faire Louis Puteaux, propriétaire d'un terrain de 1200 m2 jouxtant
le boulevard extérieur d'alors, face au mur, entre les barrières
de Clichy et de Monceau.
C'est ainsi, qu'avec pour architecte, Eugène Lequeux,
( Azémar, disent d'autres documents ), qui venait d'achever l'Église,
nos deux compères mettaient en 1838, la dernière main
à ce qu'ils allaient appeler le Théâtre des Batignolles
Monceau.
Survint alors la famille Seveste, qui ne consentit
à autoriser la fin des travaux, qu'à la condition qu'elle
exploiterait elle-même la salle de spectacle.
Ce qu'elle fit jusqu'en 1842.
À la faveur d'une fermeture provisoire pour difficultés
financières, la société propriétaire tenta
de reprendre les commandes.
L'un des actionnaires, Guyot assisté du comédien
Sardou, y exercèrent leurs talents pendant six semaines et expièrent
en prison la violation du privilège.
Le 2 Décembre 1845 un arrêté ministériel
faisait des survivants de la famille Seveste -les fils Jules et Edmond
- les locataires et seuls exploitants du bail du Théâtre des
Batignolles Monceau.
En 1848, le théâtre en bois et moellons
fut entièrement reconstruit et agrandi par Louis Puteau qui s'était
rendu acquéreur des matériaux de démolition de l'abbaye
cistercienne de N.D du Val construite au XIIème siècle à
Mériel ( Val d'Oise ).
Le dôme en plâtre armé dit « à l'impératrice », qui couvre encore la salle, est
unique en son genre.
En 1849, Edmond Seveste, malade et désormais privé
de son privilège arrivé à échéance,
se retira et le théâtre connut toute une théorie de
directeurs pour qui Mélodrame et Vaudeville se partageaient l'affiche,
soit qu'ils aient terminé leur carrière à Paris, soit
qu'ils aient été montés pour des tournées banlieusardes
ou provinciales.
5 - Henri Larochelle, directeur et bâtisseur de théâtre
En 1849, Henri Larochelle, un comédien dont la vocation
de directeur de théâtre devait être impérieuse
puisqu'il achètera à Seveste deux ans plus tard les Théâtres
de Montparnasse, de Grenelle et de Montmartre, qu'il fonda, avec l'accord
de Seveste, les Théâtres des Gobelins et de Cluny et conclut
des accords avec les salles de Courbevoie, de Meudon et de Sèvres.
Henri Larochelle fut probablement après Seveste,
le seul Directeur à cumuler autant de direction. Son nom et celui
de sa veuve sont particulièrement attachés au Théâtre
Montparnasse qu'ils reconstruisirent deux fois, la dernière version
étant celle que nous connaissons.
En 1850, date à partir de laquelle les représentations
furent données chaque jour, et non plus seulement en fin de semaine
( la population dépassait alors 25.000 habitants, et la proximité
de l'embarcadère des chemins de fer aidant, Paris montait volontiers
aux Batignolles ), en 1850, donc, Libert et Gaspari se partagent la direction,
ce dernier, comédien, est chargé aussi de la programmation
du Théâtre Montmartre ( l’actuel Théâtre de l’
Atelier).
En 1853, ce fut le tour d’Alexandre Hippolyte Chotel,
dont le titre de gloire était d'avoir donné la réplique
à Rachel.
En 1860, ce fut l'annexion.
La commune des Batignolles-Monceau n'avait duré
que 30 ans et la chute du mur des Fermiers Généraux, faisait
enfin du Théâtre de Chotel, une salle parisienne.
6 - 1873 - 1907 la fin du mélodrame et du vaudeville
Cependant, la disparition des avantages financiers attachés
aux entreprises hors les murs allait rendre moins attractive sa fréquentation
et plus difficile son exploitation.
Chotel en sut quelque chose, qui, pas plus que ses prédécesseurs,
ne réussit à équilibrer sa gestion.
Lorsqu'il mourût, en 1873, sa Direction avait pourtant
favorisé l'émergence de nouveaux talents, tant au plan des
dramaturges, que des comédiens.
Elle avait connu après le désastre de Sedan,
la fermeture provisoire, puis les réunions politiques d'un club
Blanquiste notamment.
Elle avait connu les assauts des Versaillais tandis qu'une
vingtaine de communards assiégés défendaient l'accès
du Théâtre.
Madame Chotel reprit le flambeau jusqu'en Août 1886
et grâce à deux troupes qui se produisaient tour à
tour, à Montmartre et aux Batignolles, elle renouvela ses spectacles
chaque semaine.
Pascal Delagarde, vedette des Théâtres de
quartier lui succéda pour six ans, avec notamment Le Juif polonais,
Notre Dame de Paris, Les Deux orphelines tandis que, son épouse
allait tenir jusqu'en 1904 à la tête des deux théâtres
de Montmartre et des Batignolles, dans lesquels fut créé
Le Fils de Lagardère.
Pierre Félix, un homme de lettres, prit les rennes
durant une saison et en Octobre 1905, Eugène Berny entreprit la
rénovation totale du théâtre avant de le baptiser « Théâtre des Arts » et d'y représenter Le Roi sans
couronne de Saint-Georges de Bouhelier, avec 60 comédiens à
l'affiche.
La pièce fut un succès.
La substitution d'enseigne fut moins appréciée
des propriétaires qui prononcèrent l'exclusion de Berny au
profit de l'auteur dramatique Maurice Landay qui reçut le jeune
Sacha Guitry avec une adaptation très libre des Nuées d'Aristophane, avant de céder la place en Octobre 1907 à
Robert d'Humières, poète dramatique, nouveau titulaire du
bail du Théâtre des Arts.
C'en était fini du mélodrame et du Vaudeville.
7 - 1907 - 1913 : La direction de Jacques Rouché
Le Théâtre du Boulevard des Batignolles affichait
maintenant sa vocation. Il serait le promoteur d'oeuvres ambitieuses, choisies
pour leur rigueur.
Leurs auteurs en furent Léopold Kampt, Franck Wedekind,
René Fauchois, Georges Bernard Shaw, Jules Lemaître, H.R Lenormand,
Oscar Wilde Sarah Bernhardt, Alfred Mortier.
De jeunes acteurs allaient trouver ici leur première
chance, comme André Luguet et Charles Dullin.
Ex-attaché de Cabinet du Ministre du Commerce,
Jacques Rouché, fils de grands bourgeois, avait dirigé la Grande Revue, édité Jules Renard et Jean Giraudoux.
Il avait publié un traité de scénographie
L 'Art Théâtral Moderne.
Propriétaire des Parfums Piver, il arrivait au
Théâtre avec de grandes ambitions pour cet art qu'il entendait
rénover et avec, ce qui ne gâte rien, les moyens de ses ambitions.
Au contraire d'Antoine qui prônait le naturalisme
le plus total, au contraire de Copeau qui recherchait, pour mieux mettre
en évidence l'art du comédien, le dépouillement le
plus absolu, le plateau nu... En véritable esthète et en
fastueux mécène, Jacques Rouché voulait faire
naître la représentation théâtrale des talents
conjugués de l'auteur, du décorateur, des costumiers et des
comédiens.
Aussi s'entoura-t-il d'un aréopage d'artistes peintres
qui comptait notamment : Albert Besnard, Maurice Denis, Maxime Dethomas,
Pierre Laprade, René Piot, André Saglio, Edmond Vuillard.
Si bien que durant trois saisons, le Théâtre
des Arts à qui d'Humières avait donné ses lettres
de noblesse, brilla d'un tel éclat que son Directeur fut nommé
en Octobre 1913 à la Direction de l'Opéra.
Il avait eu le temps d'enchanter son public avec Le
Carnaval des enfants de Saint Georges de Bouhelier, avec Les Frères
Karamazov dans l'adaptation de Copeau et Jacques Croué, dont Charles
Dullin fut l’inoubliable Smerdiakov,avec Le Pain d'Henri Ghéon où s'illustraient
Roger Karl, Charles Dullin et Louis Jouvey ( sic ), avec Ma Mère
l' Oye de Maurice Ravel dans les décors de Dréa, avec La Profession de Madame Warren et On ne peut
jamais dire de G. Bernard Shaw, avec La Nuit Persane de Jean-Louis
Vaudoyer qui serait, 30 ans plus tard, l’Administrateur de la Comédie
Française, avec la reprise de Les Aveux indiscrets de Monsigny,
et Le Festin de l'araignée Ballet de Gilbert Voisin, musique
d'Albert Roussel, Décors de Dethomas.
8 - Le théâtre durant la grande guerre
Irénée Mauget, homme de théâtre
de plein air allait lui succéder. Il avait l'ambition de représenter
sans chercher le succès, des ouvrages inédits et hardis,
( Du théâtre d'art et d'essai avant la lettre), ce qu'il fit,
jusqu'au 3 Août 1914,date à laquelle le spectacle déserta les
scènes au profit des rues et de la gare de l'est où la liesse
était générale, car la victoire était annoncée
pour le lendemain...Elle se fit attendre.
La fermeture du théâtre dura quatre ans
avec de brèves ouvertures pour des représentations de bienfaisance,
ou, comme ce fut le cas en 1915, pour une tentative avortée
de faire du Théâtre des Arts une fois encore rénové,
un Music Hall dévolu à la troupe du Moulin Rouge qui avait
brûlé.
Et voici venir la direction de Rodolphe Darzens, poète,
auteur dramatique ; il avait écrit L'Amante du Christ, homme
de sport, ex-secrétaire des Folies Bergères, ex-collaborateur
d'Antoine, ex-phénomène forain, ex-boxeur, ex-marchand de
cycles d'occasion, que pendant seize ans, si l'on en croit la rumeur,
les habitants du quartier verront faire, après le spectacle, le
tour des cafés avoisinant le théâtre, y ramasser les
déchets de nourriture destinée à ses lapins et se
fondre dans les ténèbres, un bissac sur l'épaule.
Rodolphe Darzens succédait en fait à un
Officier britannique, qui, sans droit, squattait le théâtre
pour y présenter à ses compatriotes permissionnaires les
œuvres cinématographiques du moment.
C'est la condamnation aux travaux forcés de cet
officier indélicat qui permit à Darzens d'obtenir le bail
du Théâtre pour une bouchée de pain.
Il n'était d'ailleurs pas seul. Sous les auspices d'Adolphe Adérer, et de Mathias
Morhardt, attachés à la rédaction du Temps, une
coopérative d'écrivains s'était formée dont
il était le fondé de pouvoir et le comptable.
( Hélas, dira l'un des coopérateurs...)
François de Curel, Jules Romains, Lucien Descaves,
Saint-Georges de Bouhelier, Henri-René Lenormand étaient
les principaux membres de cette coopérative, et ce sont eux, bien
entendu, qui devaient assurer la programmation.
L'échec immédiat, dès la quatrième
représentation du premier spectacle, et l'impréparation de
celui qui allait suivre incita les coopérateurs à faire appel
à une compagnie genevoise, composée exclusivement de comédiens
russes, qui jouaient en Suisse une pièce de l'un d'entre eux.
9 - Les Pitoëff 1919-1927
Ce fut pour Georges et Ludmilla Pitoëff leur première
aventure parisienne.
C'est à jamais, pour le théâtre qui
les reçut, un titre enviable à notre reconnaissance.
« En deux heures de la maussade journée du 2 Décembre
1919, avec Le temps est un songe de H.R Lenormand, les Pitoëff avaient
conquis Paris ».
Ils reviendront en 1920 avec Les Ratés du même
auteur, puis début 1921 pour une tournée dans trois salles
parisiennes, avant d'aller s'installer à la Comédie des Champs-Élysées que dirigeait de main de maître un ambitieux normand
nommé Jacques Hébertot.
Ils devront quitter les Champs-Élysées début
1924 et en Octobre de la même année, sous-loueront le Théâtre
des Arts à Rodolphe Darzens, délivré de ses coopérateurs
et bien incapable d'exploiter lui-même cette scène que
d'autres avaient rendue célèbre.
Les Pitoëff programmeront le Théâtre jusqu'en
Juillet 1927, date à laquelle ils quitteront les « Arts » pour rejoindre
Jacques Hébertot aux « Mathurins ».
Ils reviendront d'Octobre 1928 à Juillet 1931.
Ils y monteront notamment Henri IV, Comme ci ou comme ça de
Pirandello, Sainte Jeanne de Shaw, L'ami en peine de J.J Bernard,
L'Amour Africain de Mérimée, Et Dzim la la la de Marcel Achard, Jean le Maufranc de Jules Romains, Hamlet, Le Marchand de
regrets de Crommelynck, Orphée de Jean Cocteau avec Marcel
Herrand, Le Miracle de Saint Antoine de Maeterlinck, Le cadavre vivant de Tolstoï, César et Cléopâtre de Shaw, Les trois soeurs de Tchekhov, Le singe velu d'O' Neil, Les criminels de Bruckner.
Chancerel , dont ils monteront La Magie révélera
que le théâtre leur était loué 390.000 F alors
que Darzens le payait lui-même 90.000 F.
10 - Le Théâtre des Arts de 1927 à la guerre
Comment dans ces conditions apprécier le travail
de ce directeur surnommé le « Seigneur des Batignolles » , ou moins aimablement
celui du « Théâtre des Arrhes » ?
Eh bien, il semble que le succès de sa direction
doive tout, aux coopérateurs, aux Pitoëff et aux comédiens
du Marais.
Monsieur Darzens, faisait la plupart du temps ce qu'on
appelle aujourd'hui du garage, c'est à dire qu'il faisait financer
par les troupes qu'il recevait les expériences auxquelles elles
se livraient, n'assumant lui-même aucun risque, mais thésorisant
au contraire, sur le dos de ses courageux interprètes.
Il faut pourtant dire à sa décharge qu'il
fut un véritable amoureux de l'art dramatique, et qu'en l'absence
de moyens, si toutefois il ne disposait pas de moyens, il a tenu la scène
du Théâtre des Arts à la disposition d'entreprises
d'une très grande qualité.
Ont en effet foulé le plateau des Batignolles durant
cette période, outre les Pitoëff, Charles Dullin, Louis Jouvet,
Sylvie, Arquillière, Harry Baur, Eve Francis, Michel Simon, Madeleine
Carlier, Marcel Herrand.
Étrange directeur que ce Rodolphe Darzens, qui avait posé,
pour recevoir les premières visites de l’encaisseur des billets
d’auteur, son révolver sur la boite à sel, qui trichait aussi
souvent qu’il le pouvait sur les créances qui lui étaient
présentées, aussi bien que sur les contrats des troupes qu’il
recevait.
Ce personnage vieilli, menacé de cécité,
abandonnera en 1935 la direction du Théâtre des Arts,
à Jean de Turenne qui procédera d’abord à une restauration
générale en vue de l’exposition universelle de 1937. Il accueillera
ensuite la compagnie Le Relais dirigée par Dapoigny et Julien
Bertheau, puis la troupe du jeune colombier qui donnera La Mandragore de Machiavel. Il montera Henri Bauche, Éblouissements de Keith Winter et Constance Coline, Les innocents de Lilian Hallman.
En Octobre 1937, il cédera le flambeau à André Moreau,
ancien collaborateur de Louis Jouvet, dont le souvenir est lié à Sixième Étage d’Alfred Gehri, et à Sur les marches
du Palais de Jean Sarment.
Le Théâtre des Arts vécut alors sa
troisième déclaration de guerre.
André Moreau ferma ses portes en Septembre.
André Barsacq tenta, huit mois plus tard, de redonner
vie à un mélo que Jean Anouilh avait quelque peu dépoussiéré.
Malgré Serge Reggiani, Roger Blin et Monelle Valentin, l’expérience
tourna court.
Les portes du Théâtre allaient pourtant s’ouvrir
à nouveau en Novembre 1940.