Si riche et si passionnante que fut sa carrière d’actrice, elle ne suffisait pas à Loleh pour satisfaire son amour du théâtre. Il lui fallait, non seulement incarner des personnages mais en créer de nouveaux avec son cœur et son imagination. « Je ne suis pas un écrivain, disait-elle, Je ne m’assieds jamais à une table. Je rêvasse, je me balade, je note des bouts de répliques sur des petits papiers. Je ne pense pas avec des idées, je pense avec des sentiments ».
Et c’est ainsi qu’en 1976, Loleh remporta son premier grand succès d’auteur dramatique avec Les Dames du jeudi. Après avoir été refusée par plusieurs directeurs de théâtre, la pièce fit la fortune du Studio des Champs-Élysées pendant plus d’un an. C’était avec un heureux étonnement que le monde du spectacle découvrit le talent indéniable d’auteur de l’une de ses plus grandes comédiennes. La pièce, tout en finesse et en nostalgie évoquait le passé, mais aussi l’amour, les chagrins, les rapports mère-fille, l’amitié. Le public était sous le charme… Pour l’un des rôles principaux, Loleh fit appel à son amie Suzanne Flon qui sera désormais l’héroïne de la plupart de ses œuvres. La pièce reçut un accueil triomphal et fut couronnée par le prix Tristan Bernard ainsi que par le prix Ibsen 1976 - récompense qui fut remise à l’auteur dans les salons de l’ambassade de Norvège -.

Les Dames du jeudi
Suzanne Flon et Dominique Blanchar
(photo DR)
fonds Suzanne Flon - Collections A.R.T.
Encouragée par son succès, Loleh osa terminer la pièce qu’elle avait mise en chantier depuis un certain temps : « J’ai longtemps rêvée, avoua-t-elle d’un auteur dramatique qui aurait écrit une « Comédie des comédiens »… Quelle pièce, que celle qui serait parvenue à montrer à la fois la mécanique d’un spectacle, souvent triviale, et son âme ; à faire sentir en même temps la misère et la grandeur du théâtre ! » Très modestement, présentant son spectacle, elle ajoutait : « Bien entendu je n’ai pas écrit cette pièce. J’ai essayé seulement de parler de l’intérieur d’un métier que je connais bien. Et d ’écrire une pièce où le rideau se lève sur un rideau qui se lève ».

Changement à vue
Gérard Darrieu
(photo DR)
fonds Suzanne Flon - Collections A.R.T.
Pièce fort originale que Changement à vue qui mettait en scène des comédiens exerçant leur métier, les montraient tels qu’ils étaient avec leur trac, leur égocentrisme et leur vanité parfois naïve et touchante. Face à cette chronique d’un monde mystérieux et passionnant, se sentant quelque peu voyeurs, le public et les critiques prirent un grand plaisir et ne ménagèrent pas leurs chaleureux applaudissements. À l’issu des représentations le prix U décerné par l’ensemble de la critique dramatique récompensa Loleh.

Changement à vue
in L' Avant-scène juin 1979
Deux pièces, trois récompenses, cela ne s’était jamais produit jusqu’alors. Il y avait à n’en pas douter, il y avait un phénomène Bellon.
En octobre 1980, Loleh retrouvait avec joie le Studio des Champs-Élysées pour y présenter sa troisième pièce : Le Cœur sur la main. Un seul et long acte abordant un sujet brûlant « la lutte des classes ». Loleh le traitait sur le mode intimiste, par petites touches. Il s’agissait en fait de l’affrontement involontaire de deux femmes de différentes cultures. Nouveau triomphe, nouvelle récompense : le Prix Dussane, considéré dans le monde du théâtre comme une prestigieux satisfecit.

Le Cœur sur la main
Suzanne Flon et Martine Sarcey
(photo DR)
fonds Suzanne Flon - Collections A.R.T.
En octobre 1984, Loleh fut une nouvelle fois l’invitée du théâtre du Studio des Champs-Élysées. Dans une mise en scène de Jean Bouchaud, elle y présentait De si tendres liens interprété par Dominique Blanchar et Nelly Borgeaud. Il était question cette fois de la confrontation d’une mère de soixante ans, Charlotte, et de sa fille, Jeanne, alors que cette dernière venait d’atteindre la trentaine. Leur amour réciproque était plus fort qu’elles ne le croyaient et pourtant une incompréhension s’était établie entre elles. Charlotte supposait avoir été une mère présente et vigilante, et reprochait à sa fille de noircir ses souvenirs d’enfance, Jeanne lui répondait en insistant sur son absence : « Je ne dis pas que c’est vrai, mais c’est ce dont je me souviens… ». Comment penser qu’une enfant puisse se rassasier de la tendresse de sa mère ? Le temps passait et ne passait pas. La mère et la fille ne pourront jamais oublier leurs moments de joie, de douleur, de rires et de pleurs et pourtant elles croiront toujours que leurs cicatrices ne se refermeront jamais. Mais bientôt les rôles seront inversés. Charlotte, vieillissante, sera avide de la présence chérie de Jeanne. L’amour des deux femmes, l’une pour l’autre, n’aura pas de fin.

De si tendres liens, décor de Pace
Collections A.R.T.
Cette fois encore, Loleh avait su toucher son public. Au baisser du rideau, lors des applaudissements soutenus, bien des yeux étaient humides... « À chacune de ses pièces, écrivait Guy Dumur, Loleh Bellon réussit ce miracle d’évoquer une vie entière avec des mots les plus simples et les situations les moins théâtrales. Cette fois, c’est une épure. (…) Aucune analyse ne pourrait expliquer de quoi est fait ce dialogue transparent. C’est en gardant son secret qu’elle nous force à l’admirer ».
En 1986, Loleh Bellon écrivit l’adaptation de Adriana Monti de l’italienne Natalia Ginzburg. La pièce fut créée, le 20 septembre 1986 au Théâtre de l' Atelier avec à l’affiche, Nathalie Baye, Micheline Presle et Richard Berry : un jeune avocat vient d’épouser une jeune femme rencontrée par hasard. S’aiment-ils vraiment ? Tout s’est passé si vite. Ils s’interrogent. Quel sera leur avenir ?

Adriana Monti de Natalia Ginzburg
Collections A.R.T.
Il est à remarquer que ce sera la seule fois où Loleh traitera de sentiments amoureux.
Les avis furent unanimes et excellents. Sous la plume du critique du Figaro on pouvait lire : « Voilà sans doute la meilleure pièce de la saison, la plus familière, la plus spontanée » et sous celle celui du Monde : « … l’un de ces plaisirs qu’on goûte avec l’envie de partager, pour que nos amis n’en soient pas exclus ».
C’est en septembre 1987, au théâtre de la Gaîté Montparnasse que fut monté L’Éloignement, avec dans les rôles principaux Pierre Arditi et Macha Méril. Le public assistait à l’angoisse de Charles, auteur dramatique, au lendemain de la générale de sa nouvelle pièce. Tandis que sa femme tentait de le rassurer, il se montrait détestable, odieux. Face à des critiques très élogieuses, il passa de l’anxiété extrême au comble de la joie, sans se préoccuper le moins du monde de son entourage familial. Rien ne comptait en dehors de son personnage d’auteur, rien. Il était pathétique à force d’égoïsme et de tyrannie envers les siens dont il ne voyait pas qu’ils s’éloignaient incontestablement de lui.

L' Éloignement
Macha Méril
(photo DR)
programme original
Collections A.R.T.
Dans sa pièce, l’auteur posait la question : jusqu’à quel point l’importance d’une œuvre devait-elle l’emporter sur le comportement d’un homme, face à la vie quotidienne. Elle se gardait de donner son avis, elle laissait le soin au public d’y répondre.
Un nouveau triomphe, pour Loleh qui remporta le Molière du meilleur auteur et la pièce obtint trois autres nominations : celle de la meilleure comédienne, celle de la meilleure mise en scène et celle de la meilleure œuvre du théâtre privée.
Depuis plusieurs années, Loleh souhaitait écrire une pièce à l’intention de son amie Suzanne Flon. Son projet fut enfin réalisé . Le 21 septembre 1988, le théâtre des Bouffes Parisiens afficha Une Absence, pièce dans laquelle Suzanne tenait le premier rôle, tandis qu’exceptionnellement Loleh jouait l’un des personnages secondaires - alors qu’elle ne s’était plus produite sur scène depuis son interprétation de Molly dans Le Premier d’Israël Horovitz, au théâtre de Poche Montparnasse en 1973 -.
Le sujet de Une absence était très émouvant : Germaine Meunier, institutrice à la retraite avait été trouvée inanimée dans son appartement. Hospitalisée, elle avait perdu toute mémoire, se croyait seule au monde, ne reconnaissait plus personne, ni sa concierge qui l’avait sauvée, ni sa cousine qu’elle voyait journellement, ni l’une de ses ancienne élève qui lui était restée fidèle. Elle restait cloitrée dans son univers, puis , peu à peu, ses souvenirs les plus lointains lui revenaient et elle s’y complaisait…

Collections A.R.T.
Si la pièce remporta un véritable succès, son interprète principale, elle, obtint un triomphe : « Une absence est une photographie, encore fallait-il avoir mis l’objectif au point et l’avoir convenablement développé… Et Suzanne Flon, croyez-moi , c’est un spectacle à elle toute seule. Et plus qu’un spectacle, la vie. ».
À l’issu de ces représentations, le Grand Prix du Théâtre, attribué par l’Académie Française fut décerné à Loleh.
Mais, désormais, que représentaient les honneurs pour elle, confrontée à une douloureuse épreuve ? Depuis juin 1982, Claude Roy, l’époux aimé d' « un amour de diamant », était atteint d’un cancer du poumon. Après opération, il bénéficiait d’une rémission, mais le mal était toujours présent et l’échéance fatale ne pouvait s’oublier. Néanmoins, Claude comme Loleh s’efforcèrent de poursuivre leur carrière d’écrivains.
En 1992, Loleh retrouva la scène du Studio des Champs-Élysées pour y monter sa huitième pièce intitulée L’une et l’autre, avec les comédiennes Nelly Borgeaud et Yvonne Clech.

L' une et l' autre
Josiane Stoleru, Nelly Borgeaud et Yvonne Clech
(photo DR)
programme original
Collections A.R.T.
Si le sujet d' Une absence paraissait attendrissant, celui-ci était plus pathétique encore, avec la mort en toile de fond. Bien que Jean soit décédé depuis plusieurs années, il ne semblait pas avoir définitivement quitté les siens. Son souvenir, vivant dans leur mémoire, engendrait sentiments et parfois ressentiments qui ne pouvaient être oubliés. Évoquant le défunt, épouse, mère, ainsi que les amis vrais ou faux n’étaient qu’opposition. Chacun gardait de « son » Jean une image différente de celles des autres…
Quand le rideau retomba, bien des spectateurs, la gorge serrée, durent reprendre leur souffle avant que n’éclatent de chaleureux applaudissements.
C’est sur la scène du petit théâtre de Paris qu’à partir de février 1995, Suzanne Flon triompha, une fois de plus, dans La Chambre d’amis, nouvelle et dernière pièce de Loleh qui se réserva le soin de présenter son œuvre dans le programme :« Est-il sage de laisser une vieille dame vivre seule ? Les enfants de Solange pensent que non ? Que faire ? Elle pouvait prêter sa chambre d’amis à une jeune fille dans le besoin ? Ce serait gentil ! La jeune fille pourrait l’aider et au besoin la surveiller ? Ce serait commode ! Mais ce qui est sage, gentil et commode ne va pas forcément sans problèmes… Une vieille dame et une jeune personne, tout les sépare, l’âge, les goûts, les habitudes. Et pourtant… Qui aurait pu prévoir qu’entre elles deux allait surgir un sentiment inattendu : la complicité ».
En dépit de son sujet fort émouvant, la représentation fut une fois de plus un grand succès : « On ne peut pas dire que le thème soit très original…On ne peut pas dire non plus que le suspens soit haletant. Et pourtant « on marche ». Parce que Loleh Bellon sait de quoi elle parle. Avouons que cette fois la pièce est vraiment très, très ténue… Sur le fil… Mais voilà elle ne perd jamais l’équilibre ».
Les récompenses ne se firent pas attendre Tandis que Suzanne Flon remporta son second Molière de la meilleure comédienne, la pièce fit partie des nominations pour l’auteur, le metteur en scène, Jean Bouchaud, la comédienne de second rôle, Michèle Simonnet, et le meilleur spectacle du Théâtre Privé. En outre, Loleh se verra décerner le Grand Prix de la Société des Auteurs et Compositeurs de Musique (section théâtre)

La Chambre d’amis
Michèle Simonnet et Suzanne Flon
(photo DR)
Coll. Michèle Simonnet
Loleh Bellon venait de fêter ses soixante-dix ans, elle décida alors de ne plus écrire... Mais ses pièces continueront leur carrière et seront jouées jusqu’à nos jours en de très nombreuses occasions.
Télérama n° 1612
L’Avant-scène 1er juin 1979
Béatrix Dussane (1886-1969) Sociétaire à part entière de la Comédie Française, professeur au Conservatoire d’Art Dramatique, conférencière, critique dramatique, auteur d’ouvrages spécialisés.
Guy Dumur Le Nouvel Observateur 12 octobre 1984.
Guy Dumur Le Nouvel Observateur 7 octobre 1988
Anne Coppermann Les Échos 7 février 1995