Association de lalogoRégie Théâtrale  

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Une nouvelle vie

La saison 1952-1953 fut une période de séparation. André Barsacq montait, pour la dernière fois, croyait-il, une pièce de Jean Anouilh. Il s’agissait de Médée, pièce noire, tragédie inspirée d’Euripide. Le rôle était écrit pour Monelle Valentin que Jean Anouilh allait prochainement quitter et qui, malade dut se faire remplacer par Michèle Alfa.

À son habitude, l’auteur avait actualisé sa pièce qui se terminait par cette imprécation : « Morte ou vivante, Médée est là, devant ta joie et ta paix, montant la garde. Ce dialogue que tu as commencé avec elle, tu ne le termineras qu’avec ta mort maintenant… » et, devant Jason qui l’avait trahie, Médée périssait dans les flammes.

Médée de jean Anouilh
Programme original de Médée
en photo : Jean Servais, Michèle Alfa, Lucien Blondeau, Pierre Goutas, Mady Berry et et Jean-Paul Belmondo sous le pseudonyme de Jean-Paul Belmond, conservatoire oblige

Collections A.R.T.

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Ce fut un échec total entraînant la séparation de l’auteur Anouilh et du metteur en scène Barsacq. Après avoir reçu une lettre de reproches du premier, le second lui répondit : « En dehors des erreurs de mise en scène et du manque d’idées, nous avons commis surtout une lourde faute tactique en montant Médée après La Valse des Toréadors. La critique avait pensé, après cette dernière pièce, avoir remporté une victoire décisive sur votre thème habituel des amants déchirés, et voilà qu’avec Médée, ce thème a ressurgi devant eux à l’état pur, dénué de toute anecdote et de tout pittoresque. La critique en a frémi d’horreur et brandissant son glaive, s’est hâtée de trancher la dernière tête de ce monstre renaissant ». 1

Il était temps que Jean Anouilh revienne aux pièces roses, plus aimables.

Gardant secrète sa vie privée, Jean Anouilh épousa le 30 juillet 1953, à Worhing, dans le comté de Sussex, une jeune comédienne, Nicole Lançon. La presse ne fit état de cette union qu’en 1956, lorsque l’actrice fera partie de la distribution de Pauvre Bitos. Au cours des années suivantes, Jean et Nicole Anouilh auront la joie d’avoir trois enfants, Caroline, Nicolas et Colombe.

Nicole et Jean Anouilh
Nicole et Jean Anouilh
Collections A.R.T.

Lors d’une conversation avec le Révérend Père jésuite Doncoeur, venu demander à Jean Anouilh de réviser les dialogues de la version française du film Jeanne d’Arc, tourné à Hollywood avec Ingrid Bergman, il fut question d’une éventuelle pièce sur la pucelle. Anouilh racontait qu’il se montrait réticent : « J’ai déjà écrit une Antigone ! Il ( le père Doncour ) me répondit simplement avec son bon sourire à terrasser n’importe quel mécréant : Justement, Jeanne est l’Antigone chrétienne ». 2

Et c’en était fait ! L’Alouette allait naître sous la plume de Jean Anouilh : « … Sans plan, sans date, sans document , sur mes souvenir de petit garçon, sans rien qu’une inexplicable joie, je commençais L'Alouette ». 3

Lettre de Jean Anouilh à Suzanne Flon pour lui annoncer la création de L' Alouette
Lettre de Jean Anouilh à Suzanne Flon pour lui annoncer la création de L' Alouette
fonds Suzanne Flon
Collections A.R.T.

À la suite du récent échec de Médée, Jean Anouilh était très inquiet : « La veille de L’Alouette je rasais les murs du théâtre » 4 et ce n’était pas Marguerite Jamois, la directrice du Montparnasse, qui le rassurait. Elle n’avait nulle confiance en Jean Anouilh en tant que metteur en scène non plus qu’en Roland Piétri qui, tous deux, avaient fait répéter la pièce.

L' Alouette de Jean Anouilh
L' Alouette
affiche de Jean-Denis Malclès

Collections A.R.T.

Et cette fois ce fut un triomphe à tel point que le critique Jacques Lemarchand le compara à celui de Cyrano de Bergerac 5 , que Francis Ambrière y découvrit une œuvre considérable 6 et que le redoutable Jean-Jacques Gautier exulta : « Une de mes plus belles heures de théâtres, œuvre exceptionnelle (…) Anouilh s’affranchit de son habituelle désolation au profit du sens de l’espérance, d’une sorte de joie profonde, allégresse intime. 7 Toutefois, un léger nimbus dans le ciel des louanges, il provenait de journalistes d’organes bien pensants, La Croix et Aspect de la France qui reprochaient à l’auteur d’avoir dépeint l’héroïne comme : « une sainte un peu boulevardière, et une camarade à soldats ».

En dépit de ces quelques réticences, la pièce fit salle comble pendant six cent huit représentations et grâce à elle, deux jeunes comédiens interprétant les respectivement les rôles de Jeanne et de Charles VII connurent la célébrité : « Suzanne Flon… Que dire d’elle ? Elle nous est apparue comme une très, très, très grande comédienne (…) Michel Bouquet ne s’est jamais montré plus étonnant, plus juste, plus fascinant, plus intelligent … ». 8

Suzanne Flon dans le programme original de L' Alouette
Suzanne Flon
programme original de L' Alouette

( Bibliothèque historique de la ville de Paris )

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1 Anca Visdei Jean Anouilh, une biographie Éditions du Fallois 2012
2 interview de Jean Anouilh Avant-Scène 15 octobre 1964
3 interview de Jean Anouilh Avant-Scène 1964
4 Jean Anouilh En marge du théâtre Éditions de la Table ronde 2000
5 Le Figaro Littéraire 10 octobre 1953
6 Le Figaro 22 octobre 1953
7 Le Figaro 16 octobre 1953
8 Le Figaro 16 octobre,1953

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