Association de lalogoRégie Théâtrale  

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Extrait

JEAN DE LA LUNE

Nous sommes à la fin du 2ème acte. Marceline a décidé de quitter Jef, son amant, pour une nouvelle conquête. Jef ne le sait pas et tandis qu’elle s’est endormie, il lui réitère son amour...

...


Marceline : Ne joue pas au plus fin avec moi. J'ai compris l'allusion à Richard 1. C'était très fort. J'ai compris aussi : « Comme l'amie de Cloclo ! » 2

Jef : Qu'as-tu compris ? (Marceline le regarde) Il n'y avait rien à comprendre.

Marceline : Ah ? (silence) Tant pis !

Jef : Tu as l'air déçu ?

Marceline : Je ne te comprends pas. Tu es tellement maladroit. Es-tu un type épatant ? Es-tu un imbécile ?

Jef : Je suis un type épatant qui t'aime comme un imbécile. Et toi. tu m'aimes ?

Marceline : Je suis assez bête pour ça (elle pense à autre chose)

Jef : Merci. Mais qu'as-tu bien pu trouver d'extraordinaire dans « Comme l'amie de Cloclo » ? Richard était parti pour le Brésil. L'amie de Cloclo aussi. Alors, je te dis : « Comme l'amie de Cloclo ».

Marceline : Mais oui.

Jef : Ah ! ce n'est pas difficile d'être extraordinaire, avec toi !

Marceline : Bon. Bon. C'est bon.

Jef : Je te dis: « Comme l'amie de Cloclo ». Eh bien, naturellement, oui, quoi, comme l'amie de Cloclo !

Marceline, qui bâille : N'insiste pas !

Jef : Et, quand je fais une réflexion vraiment bien, tu ne la remarques même pas ! Je t'ai dit: « Je suis un type épatant, qui t'aime comme un imbécile ! ». Tu n'as même pas sourcillé Mais, quand je dis « Comme l'amie de Cloclo », tu me trouves extraordinaire. C'est un peu fort tout de même ! Remarque que, après tout, « Comme l'amie de Cloclo », c'est assez drôle. Oui, peut-être que le fait d'associer Richard et l'amie de Cloclo a pu te paraître amusant. Mais il ne faut pas exagérer. Quoi ? Tu ne réponds pas ? Elle dort. ma parole. (il la regarde) Elle dort. (il la regarde longuement) Comme elle est belle ! (Timidement) Comme tu es belle (Et, maladroitement, il s'essaie à dire :) Mon amour ! (il répète très vite) Mon amour ! Mon amour ! (et avec une tendresse infinie) Mon amour ! (il la regarde) Elle a l'air de souffrir. C'est drôle ! Elle a presque toujours l'air de souffrir quand elle dort. Toute la journée, elle rit avec nous, elle s'amuse, elle est heureuse. Et, la nuit, ce n'est plus la même. Quels rêves tait-elle donc ? (il va éteindre le lustre) Le matin, quand je les lui demande, elle ne s'en souvient jamais. (il tousse, remue une chaise) Oui, elle dort vraiment. Alors, à nous deux, ma petite. Je vais te faire quelques petits reproches. D'abord, pourquoi me trouves-tu extraordinaire à tort et à travers, comme tout à l'heure, là ? Mais c'est une question à laquelle tu es bien incapable de répondre, naturellement. (hausse 1es épaules avec pitié) Voyons un peu les autres. (il sort un carnet de sa poche et s'installe au chevet du divan. il ouvre le carnet) Avril... mai... mardi... mercredi... Voilà, que de reproches ! Ah ! c'est parce qu'il y a ceux d'hier. Oui, excuse-moi, mon petit, hier, je me suis endormi avant toi. Cloclo t'avait tellement énervée avec son coup de téléphone. Alors... (il consulte le carnet) Nous disons donc: Pourquoi, pourquoi prends-tu toujours le parti de la bonne contre moi ? Ce n'est pas gentil. Avant-hier. je lui ordonne je ne sais plus quoi. Elle me dit: « Je veux d'abord demander a Madame, parce que je connais Monsieur, si Madame n'est pas de son avis, Monsieur me disputera pour avoir fait ce qu'il voulait ». Je te raconte ça, et au lieu de te fâcher, tu ris avec elle. Avoue que ce n'est pas gentil. (il consulte à nouveau le carnet) Pourquoi changes-tu toujours mon fauteuil de place ? Voilà deux mois que je te dis que je veux qu'il soit à gauche de la cheminée et deux mois que, tous les matins, tu le remets à droite. Je t'assure qu'un de ces jours, je vais me fâcher. (il la regarde. se reprenant.) Oh ! quand je dis « me fâcher », c'est une façon de parler. Mais je ne suis pas content. (il consulte à nouveau le carnet) Qu'ai-je marqué là ? C'est d'hier. Je ne me souviens plus très bien. Mes... (il lit avec difficulté.) Mes baisers ne t'étonnent pas. (il répète avec stupeur). Mes baisers ne t'étonnent pas ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Oh ! oui, mes baisers ne t'étonnent pas. Je veux dire par là que tu les acceptes négligemment et qu'aussitôt terminés tu les oublies. Les gens qui s'aiment vraiment attachent plus d'importance aux baisers qu'ils échangent. Pour toi, on pourrait croire que c'est une simple formalité... D'ailleurs, encore un reproche que j'ai oublié d'inscrire : Pourquoi toutes les fois que je t'embrasse, me dis-tu : « Que tu es bête ! » Ce n'est pas gentil ! (retour au carnet) Pourquoi critiques-tu mon fauteuil ?... Celui-là est d'aujourd'hui. car naturellement. tu l'as remis à droite, ce matin. (après avoir lu) Ah ! Pourquoi sors-tu sans me prévenir ? C'est drôle, cette manie que tu as. Je le laisse ici. installée bien tranquille. Je crois passer avec toi une bonne soirée, une mouche te pique, et tu me plantes là. sans raison, sans t'excuser après, ni avant. (après avoir lu) C'est tout pour aujourd'hui. (il referme son carnet) Et maintenant que je t'ai fait les reproches que tu mérites, je puis bien te dire que malgré cela, je t'adore, mon amour. C'est qu'en effet tu n'es pas seulement adorablement jolie, mais tu sais l'être pour moi de la meilleure façon. Pour les autres, tu t'efforces de le paraître davantage. Tu souris trop ou tu as trop de mélancolie, suivant ton interlocuteur. Avec moi, tu es naturelle, tu ne fais pas de frais. J'ai la meilleure part. Avec les autres, tu t'efforces d'être brillante, spirituelle, enjouée. Ils n'ont de toi qu'un être factice que je ne reconnais pas. Avec moi, tu es naturelle. Tu ne fais pas de frais. J'ai la meilleur part. (Marcelline fait un mouvement. Il s'arrête, terrorisé, puis reprend presque à voix basse) C'est pour ta simplicité que je t'aime. Pour ton indépendance aussi. Pour ta cruauté inconsciente et pour tes gentillesses inattendues. Je t'aime parce que tu es la droiture même...

"

Le rideau est tombé lentement

1 le mari de Marcelline
2 le frère de Marcelline

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