
Fauteuil de Molière dans Le Malade imaginaire
Collection Comédie Française
(photo DR)
La troupe de Molière : quelques figures emblématiques.
Mikhaïl Boulgakov, dans Le Roman de monsieur Molière, rapporte que chacun des
membres de cette troupe se reconnaissait comme « enfant de la famille ». Qu'importe que l'anecdote soit avérée ou résulte de la
passion de l’écrivain russe pour le dramaturge français, elle révèle la place occupée par ces comédiens-là dans notre mémoire, aussi
déficiente soit-elle. De ces figures emblématiques, il nous reste quelques estampes fragiles, quelques témoignages dans lesquels il
est parfois difficile de démêler la louange de la vérité, l’acrimonie de la critique. De simples fragments pour en découdre avec
l'inertie du temps et rappeler qu'ils furent talentueux et admirés.
Jean-Baptiste avait un peu plus de vingt ans, en 1643, lorsqu'il annonça à son père qu'il renonçait à lui succéder
comme tapissier. Il désirait rejoindre la famille Béjart, son amour pour Madeleine n’y était certainement pas étranger, afin de
devenir tragédien. La légende veut que son père ait demandé à Georges Pinel, ancien maître d'école, de raisonner son fils ainé.
Pinel ne découragea pas le jeune homme mais se laissa entrainer dans l'aventure de l'Illustre-Théâtre. Son paraphe, le sixième, sur
le contrat de la fondation atteste de sa présence au sein de la compagnie mais pas de la véracité de l'anecdote. Le 30 juin 1643,
l'acte fut signé devant maitre Fiéffé, notaire à Paris. Les dix signataires étaient Jean-Baptiste Poquelin, Joseph, Madeleine et
Geneviève Béjart, Madeleine Malingre, un écrivain, Georges Pinel, Catherine des Urlis, Germain Clérin, un clerc de procureur,
Nicolas Bonnenfant et Denys Beys, frère du célèbre poète et ami de Scarron. Il était précisé qu'ils s'unissaient et se liaient
volontairement après s'être mis d'accord sur les articles essentiels pour «l'exercice de la comédie ». Poquelin, Clérin, Béjart
choisiront alternativement les « héros », Madeleine s’octroiera « le rôle qui lui plaira ».
Madeleine restera jusqu’à la fin de sa vie, malgré les déconvenues, le plus précieux soutien de Molière.
Tragédienne reconnue, elle ne parvint jamais à le faire briller dans les sentiments héroïques. Son succès l’autorisa à solliciter
diverses relations pour sauver les intérêts de la compagnie : le titre de Troupe de son Altesse Royale, dont elle se parera un court
moment, fut probablement obtenu grâce au truchement du baron de Modène, son ancien amant, attaché à la Maison du duc d’Orléans. Il
n’est pas impossible que ce soit lui encore qui incita le duc de Guise à donner à la troupe, une partie de la garde-robe qu’il
offrait généreusement aux principaux comédiens de Paris. Un cadeau inestimable qui permettait non seulement de se parer sur scène,
mais constituait également une manne en période de disette ! Madeleine, forte de son expérience, tenait les cordons de la bourse,
régentait la vie de la compagnie, arbitrait les querelles et prêtait une oreille attentive aux revendications des uns et des autres.
Elle a reçu les plus beaux rôles mais l’âge venant – il se fera d’autant plus lourd que de jeunes comédiennes viendront étoffer la
troupe – elle fut peu à peu reléguée à ceux dits de caractère. Elle sera ainsi, au fil du temps, la suivante de Célie ( Sganarelle
), Élise ( Dom Garcie de Navarre ), Lisette ( L’École des maris ), Corinne ( Mélicerte ), Frosine ( L’Avare
), Dorine ( Tartuffe ), Nérine ( Monsieur de Pourceaugnac ) ou Cléonice ( Les Amants Magnifiques ).

Fac-similé des signatures des comédiens de l'Illustre Théâtre au bas de l'acte de société du 30 juin 1643
in L. Moland, Œuvres complètes de Molière, t. I, 2e édition 1685
de haut en bas : Denis Beys, Germain Clérin, Jean-Baptiste Poquelin, Joseph Béjart, Nicolas Bonnenfant, Georges
Pinel, Madeleine Malingre, Madeleine Béjart, Catherine des Urlis, Geneviève Béjart. André Maréchal, avocat au parlement, Marie
Hervé, veuve de Joseph Béjart père et Françoise Lesguillon, mère de Catherine des Urlis, signent en qualité de témoins.
À ses jupes s’accrochait souvent une petite fille. Était-ce sa sœur, était-ce sa fille ? Nul ne le sait avec
certitude. Armande épousera Molière en février 1662. Après avoir été placée en nourrice à la campagne, elle acquit quelques
rudiments d’éducation dans un couvent avant de rejoindre la compagnie. Elle s’initia au théâtre en faisant de petites apparitions
comme nymphe ou comme bergère. Un an environ avant leur mariage, Molière lui donna un rôle dans L’École des maris puis
celui d’Orphise des Fâcheux. Il parait impossible, aujourd’hui, de dissocier Armande des personnages qu’elle incarna :
Armande ( L’École des femmes ), Elmire ( Tartuffe ), Célimène ( Le Misanthrope ) Angélique ( George
Dandin ) ou Élise ( L’Avare ) Chacun nous livre un détail de sa personnalité et de ses aptitudes. Molière, selon
Grimarest - son premier biographe - « se dépeignait et dépeignait son entourage dans ses œuvres. » À cet égard, l’échange entre les
deux époux dans L’Impromptu semble signifiant :
- Taisez-vous, ma femme, vous êtes une bête.
- Grand merci, monsieur mon mari. Voilà ce que c’est : le mariage change bien les gens, et vous ne m’auriez pas dit cela il y a
dix-huit mois.
- Taisez-vous, je vous prie
- C’est une chose étrange qu’une petite cérémonie, soit capable de nous ôter toutes nos belles qualités, et qu’un mari et un
galant regardent la même personne avec des yeux si différents.
Joseph, le frère ainé de Madeleine, était affligé d’un bégaiement prononcé qui ne l’empêchera pas pourtant de créer
les rôles d’Eraste ( Le Dépit amoureux ) et de Pandolfe ( L’Étourdi ou les Contretemps ) :
Quand on vit…
- Mon bègue dédaigneux déchirer les poulets,
- Et ramener chez soi la belle désolée,
- Ce ne fut que… Ah ! Ah ! dans toute l’assemblée.
Le pauvre comédien qui avait connu toutes les vicissitudes, allait disparaitre sans connaitre l’apaisement apporté
par le triomphe : il mourra quelques mois après le retour de la troupe à Paris.
Son cadet Louis (nous ignorons à quel moment précisément il a rejoint la troupe) dit l’Éguisé ( l’Aiguisé
) - en raison certainement de son esprit acéré – boitait. Il n’en continua pas moins à monter sur scène. Molière ne craignit pas de
faire allusion à sa claudication dans L’Avare, Harpagon évoque La Flèche, le valet de son fils, en ces termes : « Je ne me
plais point à voir ce chien de boiteux-là ». Il prêtera sa vivacité à Alcantor ( Le Mariage forcé ), à Dubois ( Le
Misanthrope ) ou encore à Oronte ( Monsieur de Pourceaugnac )
La troupe ne doutait pas de faire une honorable concurrence à l'Hôtel de Bourgogne et aux comédiens italiens, alors
très en vogue. Elle loua le jeu de paume des Métayers - situé à peu près à l'endroit occupé par la cour de l'Institut aujourd'hui -
fit paver l'entrée à grands frais et engagea quatre musiciens.
Hélas ! L'entreprise ne tarda pas à péricliter : « Les jours suivants n'étant ni festes ni dimanches, L'argent de
nos goussets ne blessa pas nos hanches » se plaint Elomire, anagramme de Molière, dans une charge contre lui. Son calomniateur en
l’occurrence semblait n'énoncer qu'une cruelle vérité. Nos comédiens espérèrent conjurer le sort en changeant de quartier, ils
inaugurèrent leur nouvelle salle, le jeu de paume de la Croix-Noire - proche de la place Royale - en janvier1645. D’après les frères
Parfaict, l’Illustre Théâtre, pétri de grandeur, affichait : L’Artaxerce de Magnon, Saint Alexis ou l’illustre
Olympie, la tragi-comédie L’illustre Comédien ou le Martyre de Saint Genest - toutes deux signées de Desfontaines,
membre de la compagnie - les tragédies de Tristan Lhermite - son frère avait épousé la sœur de Marie Hervé, mère de Madeleine - qui
leur confiera La Mort de Sénèque ( Madeleine excellera dans le rôle d’Epicharis ) et La mort de Crispe. Ont-ils
joué Corneille à cette époque ? Nul témoignage ne vient le confirmer…
C'est une nouvelle désillusion malgré l’intérêt de Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII. Le découragement était à
son comble quand Jean-Baptiste fut jeté dans une geôle du Châtelet sur requête d'un maître chandelier lassé d'attendre son dû, en
août de la même année. Pendant son absence, L'Illustre-Théâtre, plusieurs de ses membres l’ont quitté, se serait replié au jeu de
paume de la Croix-Blanche ( carrefour de Buci ) Ils feront une dernière et vaine tentative parisienne avant de partir en province
douze longues années. Comédien, un métier vilipendé en chaire, voué à l’excommunication dont La Bruyère disait avec raison que « la
condition était infâme chez les Romains et honorable chez les Grecs : « qu’est-elle chez nous ? On pense d’eux comme les Romains, on
vit avec eux comme les Grecs. »
Mais quel comédien était donc Molière ? Dans L’Impromptu de Versailles, il railla « l’entripaillé
Montfleury » de l’Hôtel de Bourgogne : « Voyez-vous cette posture ? Remarquez bien cela. Là, appuyez comme il faut le dernier vers.
Voilà, ce qui attire l’approbation et fait faire le brouhaha. »

Zacharie Jacob dit Montfleury
fonds Rondel
( Bibliothèque nationale de France )
Il abhorrait l’outrance, la grandiloquence et l’emphase. Il ne cessera de répéter à ses comédiens de « tacher de
bien prendre le caractère [de leurs] rôles. » De se figurer qu’ils sont « ce qu’ils représentent. » Il souhaitera, à l’instar de
Shakespeare, présenter un miroir à la nature mais pour lui, ce jeu spéculaire n’allait pas de soi. Il avait une voix sourde, des
inflexions dures, une volubilité qui précipitait trop sa déclamation et devait s’imposer une sorte de hoquet afin de brider son
débit, de scander ses tirades. Ses détracteurs le ridiculisèrent, non sans drôlerie parfois, tel Antoine Montfleury volant à la
rescousse de son père dans L’Impromptu de l’Hôtel de Condé :
Il est fait tout de même ; il vient le nez au vent,
Les pieds en parenthèse et l’épaule en avant,
Sa perruque, qui le suit le côté qu’il avance,
Plus pleine de laurier qu’un jambon de Mayence,
Les mains sur le côté d’un air un peu négligé,
La tête sur le dos comme un mulet chargé,
Les yeux fort égarés, puis débitant ses paroles,
D’un hoquet éternel sépare ses paroles…
Le Mercure de France, en revanche, évoquera l’année de sa disparition « un comédien depuis les pieds
jusqu’à la tête » paraissant avoir plusieurs voix : « Tout parlait en lui, et d’un pas, d’un sourire, d’un clin d’œil et d’un
remuement de tête faisait plus concevoir de chose que le plus grand parleur n’aurait pu dire en une heure. »
La compagnie afficha les premiers essais de Molière en 1650, il a renoncé à ses aspirations de
tragédien, La Jalousie du Barbouillé et Le Médecin volant. Les turlupinades l’emportèrent sur l’héroïsme ! Dans
cette folle pérégrination, il fallait tenir tous les emplois, monter les tréteaux dans un village et le lendemain charger hardes et
marmots avant de gagner la prochaine halte. Molière composera des canevas à la façon des italiens : ses camarades et lui broderont
ensuite, avec forces mimiques, devant les spectateurs. À Lyon, trois ans plus tard, la comédie L'Étourdi est un triomphe,
plusieurs acteurs d'une troupe rivale, menée par Mitalla, passèrent dans celle de Molière et de Madeleine. Parmi eux, le couple de
Brie (Edme Villequin dit de Brie et Catherine Leclerc du Rosé). Si le mari a été complaisamment engagé par Molière et voué aux
utilités, sa femme sera vingt ans durant l'ingénue du théâtre de Molière : « Elle se prend d'un air le plus charmant du monde aux
choses qu'elle fait, et l'on voit briller mille grâces en toutes ses actions, une douceur pleine d'attraits, une bonté toute
encourageante, une honnêteté adorable. »
-
Mlle de Brie, dans L'École des Femmes, par François Chauveau, 1664
C’est Agnès. Elle le sera toujours à soixante ans passés par la volonté du parterre qui huera la jeune Angélique
Ducroisy et la réclamera à cor et à cri. Elle viendra, jouera le rôle sans se changer, acclamée à chaque réplique. Leur camarade,
Marquise du Gorla, abandonna également Mitalla pour rejoindre René du Parc dit Gros-René, depuis la création de ce personnage dans Le
Dépit Amoureux. Elle l’épousera quelques temps plus tard. Qui était cette comédienne à qui Corneille consacrera quelques vers
? Mademoiselle du Parc, excellait dans les rôles nobles qu'elle incarnait avec le plus grand naturel. Dans L'Impromptu de
Versailles, elle s'inquiètera auprès de l'auteur du rôle de « façonnière » qui lui échoit, tellement éloigné de son
caractère. Molière rétorquera : « C'est vrai, et c'est en quoi vous faites mieux voir que vous êtes une excellente comédienne, de
bien représenter un personnage qui est si contraire à votre humeur. »

René Berthelot, dit Du Parc et Marquise de Gorla par Fr. Hillemarcher d'après des portraits du temps
in La troupe de Molière, Frederic Hillemacher, 1869
Notre compagnie, ragaillardie par la présence de recrues de choix, offrit ses services au prince de Conti,
condisciple de Molière au collège de Clermont et pas encore férocement dévot. Ils restèrent auprès de lui quelques mois puis prirent
la route de Lyon. Au cours de leurs pérégrinations, ils croisèrent, et aussitôt adoptèrent, un barde fantasque, d'Assoucy ou
Dassoucy. Il laissera un émouvant récit de leur hospitalité : « Quoique je fusse chez eux, je pouvais bien dire que j'étais chez
moi. Je ne vis jamais tant de bonté, tant de franchise ni tant d'honnêteté, que parmi ces gens-là, bien dignes de représenter
réellement dans le monde, les princes qu'ils représentent tous les jours sur le théâtre. »
Le succès rencontré en province, ne suffisait plus à satisfaire l'ambition de la troupe. Elle voulait
la consécration à Paris. Vers Pâques 1658, elle prit ses quartiers à Rouen, à quelques heures à peine de la Capitale. Molière
sollicita la protection de Monsieur, frère de Louis XIV et l'obtient. C'est donc en qualité de Comédiens de Monsieur qu'ils parurent
devant le roi et la reine-mère, dans la salle des Cariatides au Louvre, le 24 octobre. Cette fois, le retour est définitif, l'apogée
en sera le droit de porter le nom de troupe du Roy en 1665, d'abord au Petit-Bourbon, en alternance avec la troupe italienne, puis
au Palais-Royal. ( voir le
Petit-Bourbon sur le plan de Paris de 1654, Plan de Boisseau ) L'année suivante, Molière recruta un acteur atypique, Julien
Bedeau dit Jodelet, pour remplacer, dans les rôles de valets, le truculent Gros-René : il a rejoint, avec sa femme, l'Hôtel du
Marais. Après quelques farces : Jodelet maitre et valet ou Jodelet prince, il débuta en novembre dans Les
précieuses ridicules. Suivant son habitude, il parut la figure enduite de blanc, le public amusé le surnommait familièrement « le
Fariné ». Mascarille, campé par Molière, justifie ainsi son teint dans la pièce : « Ne vous vous étonnez pas de voir le vicomte de
la sorte ; il ne fait que sortir d'une maladie qui lui a rendu le visage pâle comme vous voyez. »

Julien Bedeau, dit Jodelet
Après Jodelet, les engagements des comédiens partaient immuablement de Pâques, Molière engagea ( Charles Varlet
sieur de ) La grange. Le comédien se révéla sous son propre nom dans Les Précieuses puis ce fut Le Menteur de
Corneille, Eraste ( Les Fâcheux ), Valère ( L'École des maris ) et Dom Juan. Dans l'Impromptu,
Molière rendra à ce fidèle le plus élégant des hommages, d'une simple phrase laconique : « Pour vous, je n'ai rien à vous dire ». Il
ne se borna pas à être un jeune premier, il a tenu scrupuleusement les comptes de la compagnie. Il notait sur un registre, les
recettes et les dépenses n'hésitant pas à avancer 300 livres sur sa bourse pour des frais extraordinaires. Il relata aussi, en marge
de ses comptes, les évènements qui émaillèrent la vie de la troupe léguant un précieux document à la postérité. « Ce mémorial –
écrira l’historien Auguste Jal - que les comédiens français possèdent aujourd'hui et que leur caissier garde comme un trésor dans le
coffre de fer où il enferme ses recettes, forme un volume in-4°, écrit sur papier Hollande, d'une écriture assez grosse, non pas
belle, mais lisible. Une reliure de parchemin en manière de portefeuilles, attaché par un cordon de cuir, couvre le livre auquel
Lagrange donna ce titre : Extraits des receptes et des affaires de la Comédie, depuis Pâques de l'année 1659, appartenant au
sieur La Grange, l'un des comédiens du Roy ».

Page de titre du registre de La Grange
1659 - 1685
Collection Comédie Française

Lagrange, d'après l'estampe de Jean Sauvé sur le dessin de P. Brifart
in La troupe de Molière, Frederic Hillemacher, 1869
Outre ses diverses fonctions, il endossera bientôt celle d'orateur en remplacement de Molière. Chaque théâtre usait
des services d'un orateur chargé d'haranguer le public avant la représentation : un compliment habilement tourné le remerciait
d'être venu et lui annonçait la pièce du jour suivant en termes choisis afin de l'inciter à revenir. Molière excellait dans cet
exercice. Chappuzeau souligna « la bonne grâce » avec laquelle il s'exécutait mais rendit également hommage à son successeur
: « Comme il a beaucoup de feu et de cette honnête hardiesse si nécessaire à l'orateur, il y a du plaisir à l'écouter quand il vient
faire le compliment. » À la mort de Molière, le 17 février 1673 - un an jour pour jour après celle de Madeleine - l'Hôtel de
Bourgogne n'aura de cesse de l'engager. La proposition est d'autant plus alléchante que le roi a donné leur salle à Lully - il la
convoitait de longue date - suscitant la défection de la plupart des comédiens de la troupe. Mais La Grange refusa de capituler, il
incita Armande, veuve de Jean-Baptiste, à acheter un nouvel endroit et dévergonda quelques acteurs du théâtre du Marais. Quatre mois
après la mort de leur patron, le 23 juin 1673, monsieur de la Reynie, lieutenant général de police, ordonna l'établissement de la
troupe du Roy rue Mazarine et cassa la compagnie des comédiens du Marais. L'Hôtel de Guénégaud fut inauguré le 9 juillet, il
présenta Tartuffe puis Les Femmes savantes, L'Avare, Le Misanthrope... En un mot, le
répertoire de Molière.

Armande Béjart par Israël Silvestre
La jonction des deux troupes annonça le déclin de l'Hôtel de Bourgogne, mademoiselle Champmeslé, créatrice de Phèdre,
le quitta pour ses rivaux. Le Roi, souhaitant couper court à cette querelle préjudiciable à l'art théâtral, ordonnera la réunion des
comédiens en un seul et même lieu en 1680 : La Comédie Française. (
voir la façade et la coupe de la première Comédie Française )
Pendant que Lagrange se forgeait une belle réputation, un capitaine au régiment de Lorraine quittait l'armée pour
se lancer sur les planches, délaissant les salles d’armes pour les estocades feintes ! ( François Le Noir, sieur de) La Thorillière
suivi son beau-père Laroque, orateur et tragédien très occasionnel, au Marais. Rapidement, nous le retrouverons au Palais-Royal, aux
environs de juin 1662, proposant sa prestance aux princes et aux raisonneurs du répertoire. Il campait allégrement Jupiter ( Amphitryon
) ou l'Automne juché sur un chameau ( Les Plaisirs de l'Ile enchantée ). À peine dépouillé de ses attributs métaphoriques,
il endossait l'habit plus austère de Cléante insensible aux roueries du calotin dans Tartuffe ou celui de Philinte dans Le
Misanthrope.

La Thorillière d'après une aquarelle
in La troupe de Molière, Frederic Hillemacher, 1869

Baron d'après le portrait de Des Rochers
in La troupe de Molière, Frederic Hillemacher, 1869
Si La Thorillière rencontra tardivement Molière, vers l'âge de trente-cinq ans, Baron, considéré comme le plus
grand acteur de son époque, s'attacha à lui encore enfant. Grimarest nous rapportera que le petit garçon souhaitait rester auprès de
son maitre pour « lui marquer sa vive reconnaissance de toutes les bontés qu'il avait eues pour lui ». À partir de ce jour, Molière
prodiguera à Baron des marques d’affection paternelle, veillant à lui transmettre les nuances de la diction. En 1670, lors de la
création de la tragédie de Corneille, Baron reçoit Domitien dans Tite et Bérénice. Premier d'une longue série de rôles
tragiques portés, par la ferveur de ses admirateurs, au firmament. Mademoiselle Clairon, interprète incontestée de Voltaire et de
Racine, vantera sa « simple et véritable grandeur » et reconnaitra lui devoir « les premières leçons de cette vérité qu'il est
toujours si difficile d'atteindre.» Auprès de Molière, il joua le rôle du Berger dans la pastorale de La Comtesse d’Escarbagnas,
Octave ( Les Fourberies de Scapin ) et Ariste ( Les Femmes savantes ). À la mort de son mentor, il passera à
l’Hôtel de Bourgogne, succédant à Floridor. Il choisit de servir Racine et créera avec éclat Achille ( Iphigénie ) et
Hippolyte ( Phèdre ). Cette même et fructueuse année 1670, Jeanne-Olivier Bourguignon dite Mademoiselle Beauval endossa le
rôle de Nicole, dans Le Bourgeois gentilhomme, au château de Chambord. Un physique ingrat et un rire incessant aurait -
raconte-t-on - indisposé le Roi à son égard, il exigea son renvoi. Molière supplia et argua qu'il est trop tard pour faire apprendre
un rôle aussi long à une autre. Beauval joua, le monarque s’amusa. Au sortir de la représentation, il aurait signifié à Molière la
réception de son interprète. Dorénavant, l'auteur s'inspirera du travers de son interprète : Nicole rit, Zerbinette ( Les
Fourberies de Scapin ) rentrera sur scène en s’éclaffant !

Mademoiselle Beauval d'après un portrait
in La troupe de Molière, Frederic Hillemacher, 1869
Séverine Mabille
avec son aimable autorisation
À lire
- Histoire des comédiens de la troupe de Molière
Alfred Copin
L.Frinzine et Cie éditeurs, Paris, 1886
- Galerie historique des portraits des comédiens de la troupe de Molière
Frédéric Hillemacher
Nicolas Scheuring éditeur, 1869
- Les premières de Molière (préface de Jules Truffier)
Henry Lyonnet
Librairie Delagrave, 1921
- Recherches sur Molière et sa famille
Eud. Soulié
Hachette 1863
- Molière, Une vie
Alfred Simon
La Manufacture, 1987
- Molière, Bourgeois de Paris et Tapissier du Roy
Georges G.Toudouze
Librairie Floury, 1946
- Le Roman de monsieur de Molière
Mikhaïl Boulgakov
Folio 1993

Les Farceurs français et italiens depuis 60 ans et plus, peints en 1670
à gauche, Molière, Jodelet et Poisson
copie d'après le tableau de la Comédie Française attribué à Vério - peinture et photo Vincent Parot - coll.
particulière