Comme son frère aîné Constant, il naît à Boulogne-sur-Mer le 16 mai 1848. À quinze ans, il part dans une institution en Angleterre pour y apprendre l'anglais en échange de leçons de français. Ce n'est pas une réussite et très vite, il demande à rentrer à Boulogne. Son père lui obtient une place d'employé à la Compagnie des Chemins de fer. Mais la vente des billets et l'enregistrement des bagages ne le passionnent guère. Dès que ses chefs ont le dos tourné, il récite des vers, se lance dans des tirades ou des fragments de scènes héroïques de Ruy Blas ou du Cid...
Admiré par ses collègues mais incompris de ses supérieurs, il doit démissionner. C'est sans regret qu'il quitte les Chemins de fer car, comme son frère, il a la passion du théâtre. Pour avoir vu Constant se produire en débutant dans des cafés-concerts à Boulogne, pour avoir repris à son compte les scènes jouées par son frère, il ne pense plus qu'à devenir comédien. Son père ne l'entend pas ainsi : « Il y a assez d'un acteur dans la famille ». Mais son décès en 1864 libère la vocation de son fils. Constant, déjà Sociétaire de la Comédie Française fait venir son frère à Paris et le fait entrer au Conservatoire d'Art Dramatique, dans la classe de Régnier de la Brière. Le célèbre professeur détourne Ernest des emplois de jeunes premiers auxquels il veut se destiner : « Vous avez l'œil riant, la tête droite, le nez de la famille... vous êtes un comique ».
Il reste trois ans au Conservatoire. Dès la deuxième année, il obtient un second accessit. Au concours de 1867, il reçoit le premier prix de comédie avec le rôle de Sosie dans Amphitryon de Molière. Il débute alors au Théâtre de l'Odéon dans L'Anglais ou le fou déraisonnable de Joseph Patrat. Il connaît un réel succès, aidé en cela par son accent britannique. Le lendemain de la première représentation, Jules Barbey d'Aurevilly écrit dans Le Nain Jaune : « Il a joué avec une sobriété qui a donné à son personnage une netteté de lignes et de relief incomparables. L'accent y est. Un accent guttural qui ajoute aux moindres mots une expression si étonnante ! Mais il n'y est pas trop ; il y est dans le nuancé juste d'un art consommé. C'est bien cela ! »
Il reste un an au théâtre de l'Odéon mais son ambition est d'entrer à la Comédie Française. Il n'attend pas très longtemps car le 8 juin 1868, il est engagé comme Pensionnaire pour y jouer Petit Jean dans Les Plaideurs de Racine. Le voilà donc auprès de son frère aîné. Pour différencier les deux hommes, on les surnomme « Coquelin aîné » et « Coquelin cadet ». Il joue ensuite don Bazile dans Le Barbier de Séville de Beaumarchais ( 12 juin 1868 ), Trissotin dans Les Femmes Savantes ( 21 juin 1868 ), Scapin ( 29 juillet 1868 ), Pasquin dans Le Jeu de L 'Amour et du Hasard d' Alfred de Musset ( 5 juin 1870 ).

Coquelin cadet dans Les Fourberies de Scapin de Molière
Collections A.R.T.
Il reprend presque tous les rôles de son frère mais sans le même succès à l'exception du personnage de Thomas Diafoirus du Malade Imaginaire qu'il interprète pendant plus de vingt ans. Il vit surtout dans l'ombre de son aîné attendant l'occasion de se montrer dans une importante création.
Lorsqu'éclate la guerre de 1870, il participe à la Bataille de Buzenval. Sa conduite exemplaire pour la défense de Paris, lui vaut la médaille militaire. Ce qui ne l'empêche pas de continuer à monter régulièrement sur les planches de la Comédie Française et de soutenir vaillamment, en ces jours de combat, toutes les actions de bienfaisance de la République en faveur des plus défavorisés. Il n'opposera d'ailleurs, sa vie durant, jamais le moindre refus à quelque sollicitation caritative que ce soit. Humaniste, généreux, attentif à la souffrance humaine, dévoué à la cause sociale, il sera fait Officier de la Légion d'Honneur en 1903.
En 1875, déçu de ne pas être nommé Sociétaire, il songe alors à quitter la Comédie Française et décide de tenter sa chance dans les théâtres de genre. Malgré une belle proposition du Théâtre du Palais Royal, il opte pour le Théâtre des Variétés où il apparaît sans grand succès dans la première représentation de La Guigne, une comédie-vaudeville en trois actes de Eugène Labiche , Leterrier et Van Loo. Mal à l'aise avec des acteurs comme Léonce et Baron dont la bouffonnerie lui semble manquer de finesse, il reste peu de temps dans ce théâtre. Très vite, il s'en retourne à la Comédie Française où il remonte sur les planches dans le rôle de Frédéric de L'Ami Fritz, une création d' Émile Erckmann et Alexandre Chatrian qui lui vaut son premier grand succès.
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Sociétaire de la Comédie Française
Il est enfin nommé Sociétaire le 1er janvier 1879. Flatté mais pas vraiment comblé, il lui faut conquérir le public parisien. C'est le temps des cabarets, des salons et du monologue. Tout Paris en raffole. La découverte des monologues excentriques de Charles Cros , alliant l'humour britannique à la verve montmartroise, enthousiasme Emest qui les apprend et s'en va les dire aussi bien au Chat Noir que dans les salons huppés de la bonne société parisienne. Son frère l'accompagne allègrement dans l'aventure. L'engouement du public, les comptes-rendus des journaux, lui assurent immédiatement popularité et fortune. Il ouvre lui-même un salon où sont invitées les plus importantes personnalités de l'État, du monde artistique, littéraire et musical. Les grands journaux satiriques de l'époque dont Le Gil-Blas et Le Tintamarre lui ouvrent leurs colonnes. Sous le pseudonyme de Pirouette, il écrit des monologues qu'il publie dans Le Monologue moderne ( 1881 ) et L'Art de dire le monologue, co-écrit avec Constant en 1884.

Comment je fais ma tête par Coquelin cadet dans L' Almanach
Collections A.R.T.
Il s'intéresse aux poètes et prend part à leurs luttes littéraires. Grand amateur de peinture, il acquiert grâce à sa fortune, des œuvres de Corot, Sisley, Fantin-Latour et quelques autres grands peintres de son temps. Son dernier rôle à la Comédie Française qu'il quitte en 1907, est celui de l'Abbé Merlin dans L'Amour veille de De Flers et Caillavet.

Collections A.R.T.
La fin de sa vie est marquée du sceau de la tristesse et du désespoir. Après avoir fait beaucoup rire, il sombre dans une profonde mélancolie. Ne pouvant plus demeurer dans son appartement parisien du boulevard Malesherbes, il est conduit à la clinique du Docteur Valentin Magnan ( 1835-1916 ), une maison de santé de Suresnes où séjourne également la fille de Victor Hugo, Adèle. C'est là qu'avec d'infinies précautions les médecins lui apprennent le décès de son frère. Il lui survit dix jours et meurt le 9 février 1909.
Ses obsèques solennelles célébrées le 12 février en l'église de Suresnes attirent de nombreuses personnalités parmi lesquelles Edmond Rostand et son épouse, Albert Carré et Tristan Bernard . Après que les honneurs militaires lui soient rendus, Jules Claretie, Administrateur général de la Comédie Française et Mounet-Sully retracent sa carrière. L'inhumation a lieu dans sa ville natale de Boulogne-sur-Mer. En hommage aux frères Coquelin, une statue, exécutée par Auguste Maillard, représentant les deux comédiens sous un buste de Molière, est inaugurée deux ans plus tard, le 16 juillet 1911.
Jules- Amédée Barbey d’Aurevilly (1808-1889), romancier satanique auteur des Diaboliques, journaliste polémiste
Pierre Caron de Beaumarchais (1732-1799), auteur de pièces de théâtre brillantes et pétillantes dont les ressorts essentiels sont la verve et l’ironie corrosive : Le Barbier de Séville, Le Mariage de Figaro
Alfred de Musset (1810-1857) poète né à Paris, subit l’influence romantique dans le cercle de Victor Hugo. Écrit aussi des pièces de théâtre : Les Caprices de Marianne, Lorenzaccio
À Rueil-Malmaison
Eugène Labiche (1815-1888) auteur de nombreux vaudevilles : Le Voyage de M. Perrichon, Le Chapeau de paille d’Italie…
Charles Cros (1842-1888), poète qui fréquenta les cercles et cafés littéraires de la bohème de l’époque, rencontra les poètes Paul Verlaine et Arthur Rimbaud. Il est connu pour ses monologues comme Le Hareng Saur qu’il récitait lui-même dans le cabaret Le Chat Noir
Le Chat Noir, cabaret créé par Rodolphe Salis (1881), 84 boulevard Rochechouard. Ce lieu a inspiré de nombreux artistes montmartois. Il était connu aussi pour ses spectacles d’ombres chinoises
Albert Carré (1852-1938), comédien, metteur en scène, dramaturge, librettiste. Il a dirigé plusieurs théâtres à Paris : le Vaudeville, le Gymnase, l’Opéra Comique. De 1914 à 1915, il a été administrateur de la Comédie Française. Dans le domaine de l’opéra, il fit découvrir des compositeurs comme Jules Massenet, Claude Debussy. Il avait un jugement musical pointu, une grande science de la mise en scène.
L’Association de la Régie théâtrale, dans ses collections de mises en scène lyriques possède un très grand nombre de ses mises en scène annotées
Tristan Bernard (1866-1947), romancier et auteur dramatique. Parmi ses pièces : Les Pieds nickelés, La Sauvage, La Petite femme de Loth
Jean-Sully Mounet, dit Mounet-Sully (1841-1916), entré à la Comédie Française en 1872, devenu sociétaire en 1874, doyen en 1894. Il a interprété avec talent tous les grands rôles du répertoire jusqu’en 1915
Francine Delacroix
in Les Coquelin
Société historique de Rueil-Malmaison 1998
avec leur aimable autorisation