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Visites à Mister Green de Jeff Baron

Comme les théâtres ne roulent pas sur l'or, les auteurs contemporains écrivent beaucoup de pièces à deux personnages et à décor unique, sans quoi ils ont peu de chance d'être joués. Mais il leur faut chaque fois justifier le huis clos. Pour ses débuts au théâtre, le scénariste américain Jeff Baron imagine une confrontation savoureuse. La voiture de Ross a renversé un piéton. Accident sans gravité: le jeune chauffard a été condamné à six mois de travaux d'intérêt général durent lesquels il se rendra une fois par semaine chez sa victime, Mr Green, pour faire ses courses et son ménage.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que cet octogénaire, qui vit replié dans une solitude absolue depuis son veuvage, ne sort pas de chez lui, n'ouvre pas son courrier et se nourrit exclusivement de biscuits secs, n'est pas hospitalier. Il fait tout pour l'éconduire. Jusqu'au jour où Mr Green découvre que Ross est juif, comme lui. Le voici moins farouche tout à coup. D'heure en heure plus loquace. Mais Mr Green ne va pas tarder à déchanter cerlejeune homme ne pratique pas la religion juive et n'est guère plus pratiquant pour ce qui regarde les femmes puisque faygele, à savoir gay en yiddish. Donc bon à fourrer dans le même sac que Rachel, sa fille, que Mr Green a chassée de chez lui trente ans auparavant pour avoir commis le crime irréparable d'épouser un goy: "Grâce à vous deux, gronde-t-il, il ne naîtra plus de juifs. Vous finissez le travail d'Hitler."
 
De cette situation embarrassante et cocasse, Jeff Baron ne tire ni considérations générales, ni grands discours sur le judaïsme ou l'homosexualité. Ce n'est pas du théâtre à thèse, c'est un misérable petit tas de secrets transcrits avec humour et justesse, qui composent la figure d'un vieil homme intolérant, borné, malheureux, admirablement rendu par Philippe Clay. On a tout à la fois envie de le bourrer de coups de poing et de le consoler tant, sans cesser de faire rire, il donne à entendre la douleur sous la colère. Face à lui, le jeune Thomas Joussier réussit à faire de Ross davantage qu'un simple faire-valoir ou une caricature: un personnage nuancé et attachant. C'est lui qui a porté la pièce à Philippe Clay, puis à Jean-Luc Tardieu. Ce dernier l'a mise en scène avec toute la drôlerie et la légèreté requises. Hâtez-vous de rendre visite à Mr Green, bientôt Paris tout entier se bousculera à sa porte.

Jacques Nerson

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